
Djemila
« Elles aussi, ces dépouilles, dans un sens étaient perdues. Ce qu’elles représentaient était mort. Ce pour quoi elles témoignaient ne voulait pas être su. On les voyait sans les comprendre, on ne voulait pas les comprendre. Nous étions sœurs, pas seulement à travers un visage de marbre, mais avec Timgad et Djemila, avec toutes celles encore enfouies, nous étions sœurs les Ruines et moi. Ma protestation n’était en rien aussi manifeste et grandiose que la leur, elle restait cependant tout aussi inaudible par la société. C’est pourquoi il me semblait que nous nous entendions. Elles me disaient qu’il y a avait eu d’autres hommes, d’autres dieux. Que rien ne pouvait se prétendre exclusif, absolu ou éternel. Elles disaient un peu l’avenir, en montrant la fragilité du présent. Mais encore et surtout, elles me questionnaient sur la légitimité des hommes et des peuples à s’imposer sur un sol. Aux heures où tout ceci me donnait le tournis, il m’est arrivé de vouloir prendre un peu de cette poussière rougeâtre à mes pieds et de la tendre vers le ciel en demandant : « À qui ? » Personne ne pouvait répondre, il n’y avait pas de réponse. Le Dieu des Livres avait dit « aux hommes », ceux-ci avaient lu « aux mâles », mais le dieu des livres écrits par des hommes était-il le vrai Dieu ? Y avait-il autre chose que de la poussière pour répondre à la poussière
sur cette question? «

Djemila.