Au coin du Feu: le chat, l’oiseau et l’enfant.
On repart sur le banc d’école, toujours toujours au petit matin, ce petit matin. On refait ses classes.
Toujours la même histoire, et toujours le même chant, et pourtant différent.
Les oiseaux n’auront pas hiverné. Mais est-ce que les oiseaux hivernent ? Quatre ans de silence, ou plus : est-ce les oreilles qui étaient sourdes ?
De toute façon nous sommes condamnés, ou destinés : aux histoires d’oiseaux et de chats. Pas de chat après un oiseau, pas d’oiseau qui s’envole à la barbe de deux jours du chat.
Non.
Mais un chat qui serait aussi un oiseau, un oiseau qui joue au chat.
La parole et certains mots préexistent à leur écriture. Ou à leur expression sonore. Ils tournent un peu dans l’air, non sans rappeler le vol de l’oiseau de proie, un rien hésitant, mais faussement, en même temps très sûrs d’eux, puis ils fondent : ils se disent, ils s’écrivent.
« Les mots qui s’écrivent sur les murs renforcent les murs ». Mots de J Lacan à propos des mots d’amour, des chants désespérés sur les murs des banlieues, des lycées, des wc de partout, sauf des palaces. Il y a un côté trash.
Les mots renforcent les murs… les murs qui nous protègent, qui tiennent debout. Les mots sur les murs pour sortir les émotions du cœur, conjurer l’impossible, ne plus avoir peur de ce qu’ils nous disent ?
Ce genre de mots renforcent-ils les pages ? Ecrans, papier, portes d’entrée blanches, planes mais sans fond.
?
Écrire à quelqu’un qui écrit, c’est étrange. Mais il y a des gens qui écrivent mieux sans écrire que les gens qui écrivent.
Paradoxe : on veut parler des gens qui expriment, qui libèrent l’intime, qui osent.
Et il y a des gens qui vont écrire très bien, un tas de mots sans pour autant rien dire, ou si peu : de leurs désirs, d’eux-mêmes, de quelques chose d’au-delà des histoires superficielles des faits.
Écrire vraiment, profondément, se joue avant même que d’écrire. Cela s’écrit d’abord en soi : c’est un désir irrépressible. Écrire ça serait comme cette racine en soi brûlante, ce bout de bois incandescent qui produit ensuite la flamme qu’on confond avec l’écriture. Mais l’écriture ce n’est pas la flamme, pas celle d’un bout de journal qui s’éteint aussitôt après avoir fait forte impression, et qui nécessairement déçoit. Écrire serait comme un peu aimer : sa vérité c’est le feu ardent qui se consume à l’intérieur, pas sa manifestation. Et la vérité d’une chose, c’est sa durée. Dur, noir sur blanc.
Les enfants aiment jouer avec le feu. C’est-à-dire avec les flammes. Ils allument des journaux. C’est éphémère, même si c’est beau. Mais les enfants admirent le feu, le vrai feu, les flambées terribles, impressionnantes des adultes dans une cheminée si grande qu’on y pourrait les faire rôtir eux-mêmes, en tournebroche, les enfants.
Les enfants ne savent pas faire un feu. Spontanément, non. Allumer la bûche de chêne à l’allumette (la bûche de chêne ou de cèdre), ça ne prendra pas. Il faut toute une technique et de la patience, c’est facile, mais ça s’apprend.
Il ne faut pas désirer la flamme. Il faut désirer le rougeoiement incessant qui transforme le cœur du bois en une sorte de gemme rutilant, imprenable.
Et le chat reste à bonne distance mais s’y chauffe, et l’oiseau en recueille un peu de l’éclat sur ses plumes luisantes.
Et l’enfant sage a hâte de devenir adulte pour savoir faire ce feu là, mais l’enfant sage, assez rare, ne confond pas la hâte avec l’impatience.
C’est pourquoi il reste accroupi, il se tait. Il garde en lui l’écriture et les mots silencieux qui parleront plus tard ou qui s’acteront : parce que certains gestes parlent plus que les paroles qui flambent.