Au coin du Feu: le chat, l’oiseau et l’enfant.

On repart sur le banc d’école, toujours toujours au petit matin, ce petit matin. On refait ses classes.

Toujours la même histoire, et toujours le même chant, et pourtant différent.

Les oiseaux n’auront pas hiverné. Mais est-ce que les oiseaux hivernent ? Quatre ans de silence, ou plus : est-ce les oreilles qui étaient sourdes ?IMG_5044

De toute façon nous sommes condamnés, ou destinés : aux histoires d’oiseaux et de chats. Pas de chat après un oiseau, pas d’oiseau qui s’envole à la barbe de deux jours du chat.

Non.

IMG_5102Mais un chat qui serait aussi un oiseau, un oiseau qui joue au chat.

 La parole et certains mots préexistent à leur écriture. Ou à leur expression sonore. Ils tournent un peu dans l’air, non sans rappeler le vol de l’oiseau de proie, un rien hésitant, mais faussement, en même temps très sûrs d’eux, puis ils fondent : ils se disent, ils s’écrivent.

« Les mots qui s’écrivent sur les murs renforcent les murs ». Mots de J Lacan à propos des mots d’amour, des chants désespérés sur les murs des banlieues, des lycées, des wc de partout, sauf des palaces. Il y a un côté trash

Les mots renforcent les murs… les murs qui nous protègent, qui tiennent debout. Les mots sur les murs pour sortir les émotions du cœur, conjurer l’impossible, ne plus avoir peur de ce qu’ils nous disent ?

Ce genre de mots renforcent-ils les pages ? Ecrans, papier, portes d’entrée blanches, planes mais sans fond.

?

Écrire à quelqu’un qui écrit, c’est étrange. Mais il y a des gens qui écrivent mieux sans écrire que les gens qui écrivent.

Paradoxe : on veut parler des gens qui expriment, qui libèrent l’intime, qui osent.

Et il y a des gens qui vont écrire très bien, un tas de mots sans pour autant rien dire, ou si peu : de leurs désirs, d’eux-mêmes, de quelques chose d’au-delà des histoires superficielles des faits.

Écrire vraiment, profondément, se joue avant même que d’écrire. Cela s’écrit d’abord en soi : c’est un désir irrépressible. Écrire ça serait comme cette racine en soi brûlante, ce bout de bois incandescent qui produit ensuite la flamme qu’on confond avec l’écriture. Mais l’écriture ce n’est pas la flamme, pas celle d’un bout de journal qui s’éteint aussitôt après avoir fait forte impression, et qui nécessairement déçoit. Écrire serait comme un peu aimer : sa vérité c’est le feu ardent qui se consume à l’intérieur, pas sa manifestation. Et la vérité d’une chose, c’est sa durée. Dur, noir sur blanc.IMG_5034

Les enfants aiment jouer avec le feu. C’est-à-dire avec les flammes. Ils allument des journaux. C’est éphémère, même si c’est beau. Mais les enfants admirent le feu, le vrai feu, les flambées terribles, impressionnantes des adultes dans une cheminée si grande qu’on y pourrait les faire rôtir eux-mêmes, en tournebroche, les enfants.

Les enfants ne savent pas faire un feu. Spontanément, non. Allumer la bûche de chêne à l’allumette (la bûche de chêne ou de cèdre), ça ne prendra pas. Il faut toute une technique et de la patience, c’est facile, mais ça s’apprend.

Il ne faut pas désirer la flamme. Il faut désirer le rougeoiement incessant qui transforme le cœur du bois en une sorte de gemme rutilant, imprenable.

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Et le chat reste à bonne distance mais s’y chauffe, et l’oiseau en recueille un peu de l’éclat sur ses plumes luisantes.

Et l’enfant sage a hâte de devenir adulte pour savoir faire ce feu là, mais l’enfant sage, assez rare, ne confond pas la hâte avec l’impatience.

C’est pourquoi il reste accroupi, il se tait. Il garde en lui l’écriture et les mots silencieux qui parleront plus tard ou qui s’acteront : parce que certains gestes parlent plus que les paroles qui flambent.

 

GROTTES : Préhistoire d’une Liberté

Tout commence avec ce que l’on a jamais su tout en le sachant parfaitement, tout au fond de nous, comme depuis les entrailles du temps.

Ce qu’il faut réapprendre chaque jour: la liberté, la sortie de nos grottes, symboliques, intérieures, techniques, sentimentales… créatives. Réapprendre, retour au point mort, et si vivant:

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Réapprendre tout l’acquis, même celui oublié, au fond de notre culture, à l’échelle sociale, individuelle, les deux un peu. Réapprendre ce que l’on est: faire silence, rentrer dans sa grotte. Dessiner des têtes de lions disparus, des bisons jamais chassés. Des amis jamais connus, des parents disparus.

Rentrer dans sa grotte, son antre intérieur.

Du mythe de la caverne chez Platon aux peintures rupestres de la grotte Chauvet, l’histoire nous rappelle que l’envie de repli, de position foetale, d’oubli du monde dans un utérus reconstruit de gypse et de basalte, est un élan primordial, un désir de repos gestationnaire, d’où est sortie l’humanité, c’est à dire: la culture.

Aujourd’hui: qu’est-ce que la culture, qu’est-ce que la barbarie dans la relation à cette envie de repli sur soi, à cette envie de grotte, de poche bien fermée, enfermée, protégée, communautaire? Hors d’atteinte du monde extérieur et de sa prédation?

Car la grotte avant d’être lieu de gestation, de création, est avant tout lieu de protection, signifiant d’une humanité vulnérable, en détresse.

Le désir de grotte est désir d’une détresse avant de sembler celui d’une paresse. Envie de repos craintif, presque dépressif: envie d’hibernation éternelle, en regardant, derrière le rideau protecteur de lichens tombant comme celui d’une scène de théâtre: le froid et la neige au dehors.

Mais, contrairement à la matrice primordiale, la grotte ne préexiste par à l’homme, comme l’épouse ne préexiste pas à la mère. L’homme est allé chercher sa grotte. Il y a eu quête d’un refuge, et un dépassement de son inhospitalité de prime abord, voire un combat avec ses primo-occupants, autres bêtes sauvages et tout aussi craintives que l’homme. La grotte a d’abord du faire peur. Comme tous les trous. Comme le vide et le noir.ENTREE-GROTTE-L13

La naissance de la culture, de l’homme en tant qu’Homme se fait donc, nous enseigne la grotte, par dépassement d’une peur initiale par l’aiguillon d’une peur encore plus grande: celle de mourir de froid, ou dévoré par un fauve.

La grotte, nue et encore inexplorée par l’être humain dit donc avant tout sa crainte, une forme de lâcheté peut-être. Un homme faible comme un enfant en quête d’une nouvelle matrice. Une nouvelle entrée en soi-même qui le pousse à surmonter cette appréhension immédiate qu’on ressent devant cet oeil béant et vide et obscur et inquiétant: la bouche effrayante d’un enfer avant que d’ouvrir celle d’un paradis.

Puis, dans sa grotte, cet homme pré-moderne qui fait son ours connaît l’ennui. Il y découvre sûrement l’amour aussi, les deux sont peut-être liés. Il y conçoit l’art aussi, mais cela, comme l’amour, demandera un changement de regard, non pas sur lui même: sur l’Autre, l’extérieur. Car une fois dans la, sa grotte, ce n’est plus elle qu’il regarde. Une fois dans son obscurité qu’il avive la nuit des reflets chauds des premiers feux, l’homme découvre l’Extérieur: le jour. Liberté, création, accomplissement de l’homme n’adviennent pas sansla-grotte-des-reves-perdus-cave-of-forgotten-dreams-31-08-2011-6-g

cette double exposition: jour/ nuit, sortie/ entrée. Sans cette double tentation: après celle couarde du repli, celle courageuse, ou tout aussi nécessaire et vitale de la sortie de soi: pour manger, pour chasser. La première sortie hors de la grotte ne fut pas acte de bravoure mais de nécessité: celle d’un ventre qui gargouille.

Et le premier acte de création fut le fruit de deux faims primordiales: celle du ventre et celle du sexe. Images des premières mères, et avant elles peut-être, images des bêtes impressionnante, à la fois menaces et trophées. Et gigots. Représentations des premiers désirs et des premières peurs de cet extérieur si sauvage qu’il faut pourtant bien affronter pour le vaincre, pour en mourir, ou y survivre, puis, enfin, goûter à une liberté conquise, au creux de son humanité en repos, celui sans nul doute du guerrier, dans les bras de la femme, dans les murs peints de sa grotte de renaissance.

L’enseignement des premiers hommes aux derniers que nous sommes?

Qu’il n’y a pas de repos, d’identité, et peut-être pas de paix, pas d’amour sans avoir osé la sortie de sa grotte, la confrontation jouissive et courageuse avec le grand air, la chasse, le combat: épreuves de Liberté.