« Derrière Toute Porte Close… »

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« … se trouve un mystère scellé de sept sceaux. » in Le Sable et l’Ecume, Khalil Gibran.

 

 

Depuis plus de deux mille ans, un jeune juif sans chapeau erre dans une rue du Marais. Sa barbe est revenue à la mode, on le prend pour un acteur. Certains le croient blond, certaines le veulent brun. Il est tellement sage et fou qu’il a l’air vieux. Il cite Gibran avec des milliers de siècles d’avance et se dit visionnaire, voire mieux.

C’est un dimanche après-midi de l’an 2016, beaucoup de monde dans cette vieille rue parisienne, car ce sont les vacances qui commencent, celles d’hiver, malgré le soleil printanier. Il s’appelle Matyah, mais c’est peut-être un pseudo d’écrivain. A quelques mètres une militaire blonde en treillis et kalach’ au bras sait qu’il l’a abordée un soir et lui a révélé son vrai nom, mais c’était peut-être un pseudo de prophète. Du moins l’a-t-elle pensé.

Il est beau, pas parce qu’il est beau, mais parce que ses paroles sont douces et son regard va avec. Même si les deux ont l’air souvent un peu ailleurs. La jeune militaire qui un instant, en parlant avec lui en a oublié l’Etat d’Urgence, celui d’ici et de là-bas, très à l’Est, s’est laissée embarquer dans un discours sur la montagne qu’elle n’a pas complètement saisi, une histoire de petite porte par laquelle il fallait passer, se serrer la ceinture quoi, quand c’est dur, et que après, pffuit, ça passe tout seul.

Pas bien compris, Judith, la jeune soldate, le treillis lui va bien. La queue de cheval aussi sous le béret. Et Iésouha, enfin Matyah, une voix douce et virile  lui parle: la porte se trouve juste là, celle du paradis, la voix la lui montre: un mètre de haut, Judith ne passera peut-être pas.

La foule a disparu et la rue est soudain déserte. On se croirait un 13 novembre 2015 à midi, c’est le couvre feu, c’est la guerre alors. On peut se promener tranquille, quitte ou double. C’est la guerre.

Judith décide de retirer son béret, elle est en jean et T-shirt blanc sous le treillis, il ne fait plus froid, l’angoisse donne chaud, elle rend son arme à son collègue avant que lui aussi ne disparaisse.

Abandon de poste. Dernière ballade dans Paris, avant que  tout ne pète.

Matyah et Judith marchent désormais main dans la main, comme n’importe quel couple, ou presque, ou le dernier. Inconsciemment ils remontent les quais, peut-être pour trouver une issue. La mer.

Une biche au passage leur fait une oeillade.

IMG_8336Elle ressemble un peu à Judith, l’oeil inquiet et fuyant. Sur ses gardes, cachée sous des symboles violents et confus.

Judith voudrait bien demander à Matyah quels sont les sept sceaux qu’il faudra décacheter quand s’ouvrira la petite porte bleue du paradis ou d’un nouvel enfer.

La biche est acculée à un mur, loin à l’Est le tonnerre gronde, mais les parisiens atterrés- terrés chez eux réalisent soudain que le ciel est bleu pastel comme souvent en hiver; ça ne peut pas être le tonnerre. Pas l’apocalypse non plus, il fait trop beau.

Judith soudain se sent extrêmement curieuse, de tous ces gens effrayés, de ce silence, de la main tranquille de Matyah; quelque chose, d’une manière ou d’une autre, va leur être révélé. Que les hommes sont fous, qu’ils n’y a pas qu’eux sur terre, et que Dieu va bien rigoler sans doute quand il les verra tous s’autodétruire jusqu’au dernier. Tout comme un enfant devant une termitière en feu.

Matyah et Judith décident alors de s’en foutre un peu: ça a atteint une telle urgence, plutôt, ce nouvel Etat, que paradoxalement, ça semble calme. Oeil du cyclone. Il n’y a peut-être plus qu’une minute à vivre, ou des milliards. Mains enlacées: une éternité à la fois sage et insouciante. L’important c’est la gaité, légereté profonde. Et les mouettes s’ébattent dans les reflets argentés, elles ont toujours l’air d’enfants joyeux.

IMG_8323 (2)C’est ce moment que choisi Matyah pour embrasser Judith, devant les mouettes étourdissantes, dans la jolie lumière rasante au fil de l’eau. Exactement au  même instant quelque chose d’absolument tragique se produit, là-bas, ici, pas loin ou forcément tout près, là où tout à commencé et où tout voudrait finir, à l’Est et à l’Ouest d’Eden.

Mais Matyah a bien pris soin de refermer la porte; ouf, ils sont passés, et c’était celle du Paradis: sept baisers. Et les mouettes sourient.

 

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