Dans un article du journal Le Monde, bas de page sur la révolution industrielle du moment, et tout au bout d’une frise chronologique débutant en l’an 1984 (premier objet fabriqué en 3D) on peut lire:
2016: « L’Arche de Palmyre, détruite par Daech sera reconstituée en taille réelle par impression 3D »
L’Arche de Palmyre, construction romaine du IIIème siècle après JC, sous l’empereur Septime Sévère.
L’impression d’une destruction, l’impression d’une recontruction qui n’est plus qu’une simple impression, mot impropre: « sculpturation »? Le processus n’existant pas auparavent, le vocabulaire reste encore impropre: quelque chose va se créer sui genesis sous nous yeux. Irréel, science fiction, une boucle se boucle, mais on tourne toujours en rond, en se tenant la main moins qu’en se tirant dessus moins qu’en accordant nos cythares et nos violes… Quid d’une reconstruction des origines en 3D, qui ne fasse pas pleurer???
Ce qui se joue ici, c’est donc la renaissance du monde, l’évitement de justesse de la fin totale. Depuis cet organe vital des origines des hommes, ce bout de terre à la confluence des mers, des continents, où tous s’acharnent comme sur une plaie qui gratte. Faute d’oser amputer (reconstruira-t-on une charnière de continent en 3D?) on insiste, on insiste, et le membre disparait peu à peu, la plaie est devenue un chancre.
Une menace pèse qu’il n’en restera peut-être un jour plus rien, et cette menace de la destruction de la terre originelle angoisse car cette destruction des commencements préfigure peut-être la construction de notre fin. Y aurait-il dans cette angoisse un pressentiment? Mais les russes, nous dit-on se retirent de Damas, on sent comme un soulagement, mais la Turquie pointe du doigt les Kurdes après les derniers attentats, et l’on sait bien que la guerre est infiniment loin d’être finie.
« Nous n’irons plus jamais à Damas ». Les temples en 3D, et les morts aussi, en 3D? Il n’y aura sans doute plus jamais de Damas, à moins de recréer une nouvelle mythologie, comme ces châteaux forts élevés par les croisés, comme ces colonnades romaines qui sont tous signatures de conquérants d’ailleurs. On assiste, pas impuissants mais passifs, à l’engloutissement d’une nouvelle Atlantide, c’est tout.
Sans se forcer à un optimisme fou, on peut se demander: « en sortira-t-il quelque chose de bon? »
Les croisés de l’an mil n’avaient pas de drones ni de puissance atomique. Les chevaux et les hommes mêlaient leurs sangs dans la fureur inouïe des combats et des sièges, sauvageries relatée par les historiographes des deux camps. Amin Maalouf dans « Les Croisades vues par les Arabes », écrit en 1983, consacre tout un chapitre au cannibalisme a l’oeuvre parmi toute une armée de preux chevaliers blonds. Les razzias non moins calculées que sanguinaire de Tancrède, mais aussi il met en exergue cette figure incroyable de modernisme du puissant empereur du Saint Empire, Frédéric II de Hohenstaufen, polyglotte athée, fin connaisseur et ami de l’islam qui mena la seule croisade pacifique. Et fut excommunié par le pape.
C’est aussi le chevalier blond du Septième Sceau du cinéaste danois Igmar Bergman qui perd la foi en terre sainte, la foi en la sainteté de la guerre – il n’y en a que de sales, et la foi même en Dieu. La seule certitude reste la figure obsessionnelle de la mort vêtue dans le film d’une sorte de burka, mi-femme mi-chose assexuée. Mais aussi la certitude d’une pureté possible malgré tout, dans la fragilité de l’existence: scène où le chevalier partage l’enfantin goûter d’une jeune famille et compare désormais sa vie à la nappe immaculée d’un bol de lait frais qu’il tient avec précaution dans ses mains et fait basculer avec une poignée de fruits des bois.
Que l’on en parle en gros titres ou non, cette terre promise, ce Proche Orient nous hante parce qu’il nous constitue en tant qu’Occident. Et qu’aujourd’hui la barbarie qui s’y filme « pour de vrai » remet aussi en cause la pérennité idéale de notre vision du « moderne ». La rédemption ne vient peut-être plus d’Apple quand soldats des deux ou des multiples camps peuvent mourir égorgés, une tablette tactile encore toute chaude dans leurs poches. Quand d’un côté on n’hésite à aller voter pour les hommes politiques flasques d’une démocratie floue et que de l’autre on hurle de rage aveugle en mourant au nom de Dieu…
Nous sommes bousculés à un point qu’il nous est terrifiant de reconnaître. Alors on relativise au mieux. Le monde capitaliste et l’argent comme intérêt éternel et commun. « La vie c’est quand même mieux que la mort, et le bonheur aussi », pour résumer le début d’une des premières constitutions d’Etat Démocartique. Mais Obama ne s’appelle pas Frédéric, et même « Barack » qui signifie » celui qui est béni » ou « qui bénit » ( « Barak Laoufik mon frère » pour passer les barrages militaire en Algérie…), même Barack avec sa main tendue au Caire et son Salaamalekum… au fond est tellement moins ouvert au dialogue que son homologue du XII ème siècle, tout en doutant moins de son propre dieu…
Que restera-t-il d’autre qu’une terre élimée dans cette partie du monde dans vingt ans, et même dans cinq? Reconstruira-t-on les montagnes en 3D, les civilisations mortes dans les ruines de la paix?
Souvenir de l’an 1229:
« Quand l’empereur, roi des Franj, vint à Jérusalem, je restai avec lui comme me l’avait demandé al-Kamel. J’entrai avec lui dans le Haram ach-Charif, où il fit le tour des petites mosquées. Puis nous nous rendîmes à la mosquée al-Aqsa, dont il admira l’architecture, ainsi que celle du Dôme-du-Rocher. Il fut fasciné par la beauté de la chaire, en gravit les marches jusqu’en haut. Quand il descendit, il me prit par la main et m’entraîna à nouveau vers al-Aqsa. Là, il trouva un prêtre qui, l’évangile à la main, voulait entrer dans la mosquée. Furieux, l’empereur se mit à le rudoyer. « Qu’est-ce qui t’a amené en ce lieu ? Par Dieu, si l’un de vous osait encore mettre les pieds ici sans permission, je lui crèverais les yeux ! » Le prêtre s’éloigna en tremblant. Cette nuit-Ià, je demandai au muezzin de ne pas appeler à la prière pour ne pas indisposer l’empereur. Mais celui-ci, lorsque je vins le voir le lendemain, m’interrogea : « O cadi, pourquoi les muezzins n’ont-ils pas appelé à la prière comme d’habitude ? » Je répondis : « C’est moi qui les ai empêchés de le faire par égard pour ta majesté. — Tu n’aurais pas dû agir ainsi, dit l’empereur, car si j’ai passé cette nuit à Jérusalem, c’est surtout pour entendre l’appel du muezzin dans la nuit. «