Chronique solaire I: 07/06/2116

« Il est apparu bien vivant. C’était pendant la nuit, mais on y voyait comme en plein jour. C’était en plein été, mais on aurait dit l’hiver. Il faisait sombre et lumineux à la fois; il avait l’air tout à fait vivant, et il souriait.

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Depuis des mois je me suis retenu de demander de ses nouvelles, non, en fait depuis des années. Le temps passait, et je comptais son âge: il devait bien avoir dans les 95 ans. J’avais peur qu’il ne soit mort. Or c’était idiot, plus personne ne meurt plus depuis longtemps. Mais je le croyais parti, que nous ne nous reverrions jamais, ce qui revient à peu près au même.

J’aurais presque préféré qu’il soit réellement mort.

Le doute est parfois plus obsédant que la souffrance. Alors de le voir soudainement, très vieux mais comme cristallisé dans une vigueur encore juvénile, ou enfantine cela m’a soulagé.

Il n’a pas prononcé une parole, se contentant donc de sourire, de son éternel sourire malicieux, au fond un peu oriental, proche-oriental, très ancien, hors du temps actuel puisqu’aussi il parlait hébreux, latin, grec, et avait, dans une époque encore plus lointaine, quand cela existait encore, été ordonné prêtre. Raison de sa place particulière dans mon imaginaire affectif. Aussi.

J’ai souvent pensé que si on ne lui avait parlé de Dieu, si on ne lui avait mis dans la tête cette chimère, telle que beaucoup se la représentaient alors, il aurait été tout autre chose: lui même, davantage. Comédien de tragédies classiques. Metteur en scène de films mystiques. Bref, il y aurait eu ce même souffle spirituel dans sa vie, souffle créatif et vital qu’il n’aurait pas appelé « Dieu ». C’est à voir.

Donc il est apparu, puis il a de nouveau disparu, le temps de me rassurer sur son existence.

Mais ce matin, alors qu’un soleil orange dardait ses premières fluorescences violettes sur les pétales vert-tendres et moussus de la terrasse où je suis obligé de dormir… quelque chose d’absolument invraissemblable est arrivé…

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 Comme si la pression atmosphérique s’était soudain décuplée, une gravité irrésistible me clouait au sol, ou était-ce la fatigue, l’épuisement? L’image bienveillante du vieil homme de mon enfance s’était vaporisée toute seule, avec le rêve parti, mais maintenant j’ouvrais les yeux sur une réalité que je ne reconnaissais plus.

« Est-ce que le soleil va exploser? »

Totalement atterré, la question obnubilait toutes mes facultés.

Tous les bruits familiers de la ville s’étaient tus. La circulation, toutes les artères faisant battre ce drôle de coeur social: comme sectionnées net, sans effusion. Les oiseaux ne chantaient plus. Je tentais un regard vers la vaste ouverture par laquelle d’ordinaire mes amis contemplent les reflets bleus métalliques de toutes les tours, dans le vaste ciel… Mais un effroi pétrifiant m’empêcha de vérifier leur présence. Une intuition profonde me disait qu’elle avaient toutes disparu.

Peu à peu, cependant, une rumeur puissante fut perceptible. Croissante et imparable comme les rayons ultraviolets de ce soleil. Rafraîchissante comme de l’eau. Au bout de quelque secondes, l’impression devint une certitude: la mer montait, quelque part. Un ressac puissant, majestueux: celui d’un océan naissant, le plus proche littoral étant à ma connaissance figé depuis des millénaire à des centaines de kilomètres.

Et tout à coup je pensai à Ariane, qui aime si peu les poissons; je me demandai si elle aussi serait saisie de la même angoisse ce matin. Elle même pensait-elle à moi? Etait-elle prise en cet instant du même regret stupide de n’avoir jamais voulu vivre avec moi?

Des évaporations iodées montaient dans le ciel trop chaud; des rubans de brumes se levèrent avec lenteur formant peu à peu, ou tâchant de dessiner, j’en étais sûr, les lèvres d’Ariane. Puis ils restèrent en place, là haut, stagnants, et elle aussi, restait là, dans ma tête et mon corps  immobiles, désintégrés par le dernier soleil.

Je voulais maintenant que ça finisse. « ça suffit! » criais-je en silence.

Je voulais me réveiller de ce rêve dans lequel j’avais rêvé, je voulais aller courir, ou nager retrouver Ariane, lui dire je ne sais trop quoi, enfin que je l’aimais, qu’elle était conne « ça suffit! », quoi.

Mais il n’y a pas de second réveil. »

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Ci.

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