RIEN À FOOT

 » Au coup de sifflet final, les travées du Stade Vélodrome bouillonnent. En ligne, les Bleus viennent saluer le public marseillais tandis que les Allemands s’écroulent sur la pelouse. Héros de la soirée, Antoine Griezmann communie longuement avec ses supporteurs extatiques »

Le Monde, vendredi 8 juillet 2016.

« FOOT ».

Du mot « foot », pluriel « feet ». Pied, un ou deux. Par opposition à

« Head », tête. Pluriel régulier, « heads », mais une suffit, en général bien calée sur les épaules et sans ballon dessus.

QUESTION:

POURQUOI aucun sport ne s’appelle-t-il :

« HEAD ».

Et pourquoi ne dit-on pas en français que l’on va jouer au « PIED »?

Sans doute car les français aiment le prendre, et autrement qu’en le faisant courir derrière un ballon fantasque qui au fond, ne signifie rien d’autre qu’une boule qui roule.

A l’image de la vie, d’un plaisir toujours insaisissable, sphère absurde — qui l’aurait vraiment inventée? Un peu comme la terre, les planètes. Pour ne pas faire de digression pseudo métaphysique.

On jouait à courir ou à lancer un gros ballon de cuir dans les civilisations précolombiennes de l’Amérique centrale. Symbole solaire, le sport était par essence un rite social. Je vous laisse vous renseigner et confirmer. Cf les Mayas.

Et pourquoi n’y a-t-il pas un sport qui s’appellerait « HEART »?

Et pourtant c’est en jouant avec le coeur que les matchs se gagnent.

Pourquoi le sport est-il lié symboliquement ou pas à l’amour — sans même parler d’amour du sport?

Il s’agit ici d’une rupture.

Nous nous sommes séparés, le FOOT et moi.

Ce fut comme une révélation, ou plutôt, une déception. Comme un mensonge de celui qu’on aimait et dont soudain on découvre le vrai visage: finalement il s’est bien foutu de nous. Alors tous les autres, tous ses supporteurs, ses amis, ses conquêtes, continuent à le trouver beau, charmant sourire, mais on est plus dupe, on ne le sera plus jamais:

Un soir, le Mister Hide du FOOT m’a percutée en pleine lucarne.

C’était à la radio. Une émission d’introduction au début de cet Euro. Quelques chiffres, des questions d’argents posées d’une manière si déstabilisante qu’un froid fut jeté dans le studio d’Inter, froid qui se répercuta en double drible dans mes tripes: très proche de la déception amoureuse. C’était grillé. Comme dirait Georges, « j’avais perdu la foi ».

Je n’ai pas vu un seul match, et cela me fait un peu honte, comme honte de ne plus aimer quand on a beaucoup aimé.

Le regard s’accroche par réflexe à un écran géant à travers la vitre d’un bar. Un goût, un désir revient, souvenir des parties à 5/5 dans des villages perdus de l’Italie avec l’odeur de la mer proche. Un goût d’antan 98, 2004 etc etc aux origines de notre relation confiante, quand le coeur bondissait d’appréhension de louper les premières minutes « Ils ont commencé la Marseillaise!! »…

C’est fini, et ça me rend triste comme si mon absence allait le rendre triste, lui aussi, mais il s’en fout, le foot. Il joue, et son jeu maintenant me donne la nausée.

Du coup, par un reste d’affection, je lis avec un plaisir presque coupable les résumés écrits de matchs que je n’ai pas vus. Il y a une poésie attachante, un art du chroniqueur sportif écrit qui ne nous demande pas de croire à la réalité de ce qu’il décrit, à l’authenticité, puisqu’elle est en ce domaine, un mythe.

Le FOOT exista. Un peu comme une amoureuse pure et fraîche qui en fait n’était qu’une vieille pute. Sauf respect pour ces dernières qui en bavent.

Tous les défauts maintenant m’apparaissent, la séparation est consommée.

Les lendemains de joies avec redoublement de violence dans les transports au petit matin; bêtises viriles.

Les visages joyeux des supporters sur les écrans qui me font détourner les yeux « quels cons! ».

Ce cynisme est dangereux, j’en conviens, mais faut-il cèder à un amour qui n’est qu’une illusion?

Ce cynisme est utile et il pousse à la réflexion: y aurait-il un amour qui ne soit illusion? Ou qui n’ait besoin d’une part d’illusion, la part de subjectivité, pour se lâcher, aimer

?

Tout à coup, on songe à deux choses apparemment sans lien.

1: le mot « ballon » se dit « pelota » en espagnol, et les espagnols le disent beaucoup. Le mot pelota qui évoque irresistiblement (pour moi) le mot peloter, en français. La confusion des passions fait monter la sauce, la salsa. Et des nations entières s’emballent dans le malentendu des sous-entendus.

2: « Laissez, laissez mon coeur s’enivrer d’un mensonge,
Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe,
Et sommeiller longtemps à l’ombre de vos cils ! » Semper Eadem, Charles Baudelaire.

Peut-on aimer les yeux grands ouverts, comme disait Shakespeare à la fin de la Tempête? Peut-on aimer vraiment, en vérité, la Vérité d’une chose, d’un sport, d’une personne, quand il, elle, est vrai (e)? D’après Platon, il n’y a que ça d’aimable, profondément Aimable: la Vérité. Et Amour comme Vérité n’ont rien à voir avec la passion. Sans doute car l’amour tient plus à la vérité de l’objet de l’amour, à ce qu’il est, qu’au pur manque du sujet. Ce qui fait que l’objet de l’amour, par définition profonde, est irremplaçable, contrairement à celui de la passion.

Passion donc comme désir momentané, égoïste, d’une excitation, d’un frisson éphémère. Passion dont, contrairement à l’amour, on peut se réveiller groggy, lucidité apaisante, éteindre la radio, prendre une guitare et dire:

 » RIEN à Foot… »

RIEN-à-foot-II

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