Ou plus exactement vermillon, la carapace de la tortue crée par le réalisateur belge Michaël Dudok de Wit et le japonais Isao Takahata.
Vermillon pour trancher avec éclat sur tous les bleus ( de l’azur, turquoise à l’opalin) des eaux translucides de l’Océan Indien.
C’est l’histoire du naufrage d’un homme et d’une vie; le film commence par le naufrage et dépeint plus qu’il ne narre sa vie: car aucun mot, seuls des cris, des silences, et surtout des images au graphisme changeant, aux palettes chromatiques mouvantes comme le ciel tropical, au grain évoluant de la finesse d’un galet aux rugosités d’un grès rose, à la douceur d’une peau.
C’est encore la solitude d’une île et d’un homme face aux éléments, dans la beauté poétique des ciels étoilés, le soleil accablant reflèté par le sable, ou toutes les nuances des ombres couvrant la terre selon les différents nuages. Ode du cinéma d’animation aux éléments.
Cet homme dont on ne saura jamais le nom, ni d’où il vient, représente aussi d’une manière nouvelle la question de la condition humaine sous le thème qu’on pourrait pourtant penser rebattu de l’homme naufragé.
Car, si comme d’autres avant lui, cet homme échoue, son île ne ressemble pas tant aux habituels clichés.
Vierge, elle est étrange pas son côté tantôt inquétant, hostile et en même temps radieux, mystérieux avec ses amas de blocs rocheux impeccables comme un clin d’oeil breton. Aussi, peu à peu, l’insolite prend le pas sur l’aventure et par des touches qui surprennent tout en finesse, on bascule dans le conte et l’onirisme.
Alors « chut! ». Il ne faut surtout pas dire pourquoi l’homme ne cherchera plus à quitter son île, et il faut oublier l’affiche de présentation, ne surtout pas la regarder pour mieux jouir des subtils effets de surprise qui jalonnent le film.
Bien sûr, il est question d’une tortue rouge, et on l’attend, elle viendra vite d’ailleurs et l’on suppose d’avance que c’est elle l’élément central. Rouge, donc différente, réelle vraiment? C’est elle qui ouvre les portes du rêve, ne serait-ce déjà que par sa présence, mais il faudrait ne pas en dire plus…
Rouge comme… ce qui fait battre le coeur, on échappe tout de même pas au symbole, classique. Mais rouge intriguant, qui se reflètera dans une chevelure, ce mot « rouge » de la même manière qu’il apparaît dans une autre oeuvre pour enfants mais qui ne l’est pas, celle de Steinbeck, « Le Poney Rouge ».
Il s’agit donc un peu d’une déclinaison sur le rouge, d’abord violent, d’abord la rage contre un être qui se pose en obstacle à l’envie d’évasion: la tortue, on s’en doute avant que de le savoir, c’est elle qui détruit tous les radeaux de bambous, résistance totale, lente et têtue comme ce monstre marin, exaspérante. Alors l’homme se fâche et sa rencontre avec l’Autre, le rouge est d’abord un combat, une haine qui laissera éclore son contraire. Et une mise à mort engendrera une autre vie qui s’évanouira comme elle sera venue, comme un songe heureux, dans un dépouillement total qui dévoile l’Essentiel.