DECADANSES

Un beau soleil de fin d’été brillait sur la rentrée.

Mieux valait parler au passé, comme dans un conte rassurant.

L’angoisse bien endémique chez l’humain avait toujours été une question de temps: passé, présent, futur antérieur, et surtout, imparfait: manque.

Il y avait toujours eu contradiction dans ce phénomène: la fin des jours de plein feux, la chute des heures, et l’espoir factice d’un recommencement. Renouveau ou réplique. Copie ou création. Enfin, pour ne pas qu’on s’embrouille dans les confusions de sens et de paronymes, en tout cas: Aspiration.

À quoi? On aurait pu se le demander…… … .. .

 

Le soleil brillait, et personne n’avait encore imaginé que l’Apocalypse ne fut pas noire charbon, noire d’enfer.

Personne ne s’était jamais avisé que l’Apocalypse ne serait qu’une apothéose en pleine lumière, un aveuglement par trop plein et non trop peu.

Excès de lumière ou d’obscurité: mêmes conséquences.

 

La voix de Jean le Baptiste criant dans le désert ouvrait un récit étrange qui se terminait par l’apôtre au totem d’oiseau, Jean, l’autre, l’évangéliste, annonçant les derniers temps, ceux du vieil été, à plein régime, et la rentrée dans un monde nouveau, Jérusalem de feu.

Nouvelle ascension, lue comme une chute. Moment où les sept trompes résonnent pour ouvrir des portes dont on ne comprend jamais bien s’il s’agissait de celles du Paradis ou de l’Enfer. En réalité  des deux: chacun sa part, chacun son chemin après passage par la balance du Jugement Dernier.

C’était la rentrée, l’éternel recommencement. Les générations se suivant sur les bancs, identiques et pourtant différentes.

L’esprit humain restant fidèle à ses limites, à ses rêves de les briser, et quelque part: y arrivant.

C’était le progrès: un Mac pour chaque élève, même boursier. La possession d’un instrument de pouvoir, donnant seulement le sentiment de pouvoir dans son acception la plus enfantine: le pouvoir facile. Suppression de l’effort pour créer, pour s’enrichir. Suppression de la « souffrance » d’être confronté à ses limites personnelles, celles de son cerveau devant l’information à retenir, le long travail du labourage, de la concentration pour progresser, s’enrichir, s’ouvrir.

Temps court, contre temps long.

C’était l’envie d’une  révélation de tous les egos pris individuellement, un immense serpent social se mordant la queue: les egos s’annihilant dans leur manifestation pléthorique. Aucun ne surnageant: magma. Petites stars à micro public. Avide non pas de créer, mais de trouver matière à starifier.

Nuance.

Ambitions?

On restait coits.

 

Il aurait fallu plus d’humilité. Égalité, dans l’humilité: réapprendre toute l’histoire antique, tout le Droit, les sciences, lire des livres qui auraient résisté (pour une raison arbitraire ou non) à l’usure des siècles. Se qui se serait appelé: se cultiver sûrement. Sur de la terre ferme, et pas du vent.

Oser faire rentrer de la vraie lumière, celle de Goethe « Mehr Licht », plus de lumière. Ouvrir en grand les portes, ni de l’enfer, ni du paradis, juste celle du réel, de la science, de la conscience: laisser les romans de science fiction héroïques à leur place, juste celle du rêve. Être pragmatique alors: pour mieux rêver et agir. Parler vraiment, c’est à dire pas trop. Apprendre et enseigner le silence. Un programme presque bouddhiste. Un peu iconoclaste dans un sens: saper la fascination pour les idoles:

Les images, et les instruments vides de pouvoir réel, de pouvoir qui fait grandir le mérite intime, la dignité de celui qui les regarde, qui s’en « sert »…

Enseigner la patience, la vérité et la capacité critique à démolir ces idoles: enseigner à dire non. Pour que le oui ne soit pas béni-oui-oui, ai un sens: une liberté.

Δ

Mais on oubliait. On recommençait tout en croyant faire du nouveau On se concentrait sur les prouesses de l’instrument et non sur les progrès de l’opérant. Du joueur.

Il aurait fallu tout mettre à plat, mais c’était impossible. Dangereux même. Entre la genèse et l’apocalypse: le déluge.

Alors mieux valait au moins croire au bonheur, à une paix: oeil du cyclone.

Y jouer un petit air de guitare ou de trompette mélancolique et gai, en même temps, comme si rien n’existait, comme si le monde était neuf, beau, vierge, intact, comme s’il avait trois ans, qu’une vraie Renaissance était en cours. Comme s’il était question seulement de danser, une dixième danse, la dernière, une© nouvelle, encore et encore, sans chute.

Miles

 

P.

Philippe?

Non.

Paul?

Non.

Pascal?

Non.

Patrocle?

Non!

Une lettre pudique, comme on désigne un secret.

Un amoureux?

Presque.

P.

Une citation introuvable d’Arletty dans les Enfants… Revoir tout le film pour extraire ces courts instants où elle revient « des Indes »… lointaines, trop lointaines…

Patati.

Patata…

? « Mais… »…

Quoi?

« Mais je n’aime que Paris ».

Exagéré, et vrai.

L’héroïne inventée par Prévert et qu’il fait naître à Ménilmontant, petites villes dans la grande,  ville des lumières, faite des toutes petites.

Retour de vide, vacant, alias vacances, désertion, exil. On était loin. Longtemps.

Pourquoi?

Retrouvailles: P.

Tous les parisiens n’éprouveront pas le même sentiment qui va au delà d’un  doux back home sweet home, et par delà le souvenir d’une chambre d’hôtel dans un palace, d’un coin de tente dans une pinède avec un amour d’été…

Bien au delà du flirt.

P.

Bien au delà.

Il y a du magnétisme dans l’air. On ne sait pas pourquoi.

Ce qui fait un vrai parisien, ce n’est pas le nombre d’années, ou même d’y être né.

Ce n’est pas le « je la connais comme si je l’avais fait » des vieux habitués un peu blasés.

Non.

C’est de la magie inusable.

Magie inusable.

Réactivée subitement par quelques semaines de séparation.

*

Ciel qui vous fait un clin d’oeil, comme aucun autre.

Grand courant d’air sur la Seine, feuilles d’érable, un rien de poussière, essences.

Lune rousse au dessus d’un immeuble de banlieue, découpages chaotiques balayés par un faisceau de Tour Eiffel.

Pavés. Avenues. Haussmann.

Réminiscences d’autres retours, d’autres retrouvailles, temps passés ensemble.

P. comme le giron d’une mère, un somme, à trois ans. P comme père, voix puissante,  attachement insondable.

P. gobée à travers les yeux qui nous fait oublier qui nous sommes, nos couleurs de toutes les couleurs.

P. qui dans l’amour qu’on lui porte, nous rend égaux entre nous, ses amoureux, ses amoureuses, même pas jaloux, bons partageurs qu’un regard de connivence relie même: elle t’a manqué à toi aussi?

P. qui se donne à tous, un peu sainte pute, mais unique et exclusive et différente pour chacun.

P. à l’aurore,  ou P. sous la pluie quand personne n’ose sortir et qui nous donne le sentiment de s’offrir à soi-même, d’être unique devant elle comme elle l’est devant nous.

P, un tableau et un cadre, qui peint et qui enserre en elle-même des histoires, un visage, un rêve d’enfance, une liberté qui s’ouvre, à vingt ans pour toujours.

P. qui recèle en elle un secret, une ombre, celle de Baptiste déguisé en Pierrot, un amour caché et déguisé, un clown triste que tout le monde connaît mais que personne ne voit tel qu’il est.

P. Un mystère pour initiés, qui demande du temps, de la fidélité pour ensuite revenir à elle, la comprendre, lui prouver… la voir enfin.

Celle qui échappe aux touristes, aux gens de passages avides d’y retrouver un cliché.

Quelque chose de vraiment impalpable et pourtant d’indubitable, de très constant sous les changements permanents de ses nuages…

Bizarre, P.

Comme Port, ancrage  déjà surchargée d’encrage de mots d’amour faciles sur les bancs, les murs, les affiches de films. Faciles.

Passion tranquille et

Paradoxale: légère et

Profonde, luxueuse et

Populaire

Philosophe, amour intellectuel, romantique, littéraire et néanmoins si

Physique, aux tripes qu’elle noue dans son sourire irrésistible d’ardoise bleue et grise

Vieille et si fraîche sous ses brumes blanches de fleuve et de pollution

P. où les dés se lancent où la vie se joue et où tout le monde se rencontre car

Paris est toute petite pour ceux qui… etc. etc. Idem, Pierre Brasseur.

Pourquoi?

Même au matin, pas rasée.

Suffisant de la quitter (bras doux de Madrid, Rome, évidemment, New-York…)

Pour la voir autrement, et la regretter: l’envie d’exil n’était pas à cause d’elle, mais de soi.

Pourquoi?

Une humeur océane difficile à suivre.

Mais même sans parfum, même le front ombrageux des mauvais cumulus pas près à se dissiper –  soudain son éclat de tonnerre comme un rire  d’homme trop sérieux: soleil.

Des airs de snob parfois hautains, mais au fond invétéré Titi.

Dans le trop froid ou le trop chaud, P. qui pousse à la plainte, à l’injure: « tu fais chier, y’en a marre! »

P. Pardon. Peur de t’avoir blessé, blessée.

Peur de ta gravitation qui nous ferait pour toujours renoncer aux sirènes des champs verts et d’un air plus pur, plus simple… qui sait?

P. Pulsation. Cardiaque.

Pourquoi, pourquoi? Sans raison au fond, comme toujours dans ces cas là, dans ces coups de coeur, lien trop fort, origines et histoire de sang presque mêlés:

« Parce que ».

 

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©clrisselee Paris dans les nues/ se laisse deviner/ faute de photo trop cliché, pas de pavé mouillé ni de monuments, rues connues, ni de silhouettes poétiques… comme si l’atmosphère pouvait se photographier…

R-ÉVOLUTIONS ET SCANDALES

«On est amoureux, on est profondément attaché, on repousse violemment. Mais l’amour […] ce que j’appelle l’alliance c’est-à-dire un échange profond, désintéressé, un amour absolu, moi, je ne l’ai pas connu».

La confidence de Jeanne Moreau rebondit sur une statue de Brancusi, exposée au Guggenheim Museum de Bilbao. Il s’agit d’un modèle abouti, en 1916, d’une longue série de recherches, un peu comme la scène de corrida de Picasso avec Taureau, Toreador et Cheval éventré.

Les tâtonnements, et les esquisses répétées, entêtées, révèlent toujours en creux l’importance de la recherche.

En clair: il y a un sens dans l’insistance elle-même, dans l’acharnement presque malgré soi, à la limite de l’irrationnel. On cherche, on cherche, parce qu’il faut trouver.

Ne pas abandonner, Ok. Mais surtout ne pas pouvoir abandonner. Quand il ne s’agit même plus de courage. Mais d’un chemin nécessaire, la longueur importe peu.

Ce chemin peut-être, qu’a suivi Jeanne, d’aventures en histoires, d’histoires en ruptures. Fin assez solitaire et amère pour une femme forte, frôlant la dureté, car fragile, si fragile, à s’obstiner à le cacher sans doute, sauf dans certains textes, qui sont des chansons,  authentiquement ses seules créations et pas seulement ses incarnations de comédienne. Ses révélations d’elle-même.

La mort de Jeanne ne peut pas rester comme ça sans rien dire, sur un regard énamouré vers Marcello ou sur un tourbillon qui n’était pas d’elle, qui n’a fait que passer, mais qui à sa manière, dit l’obstination d’un élan, d’un désir qui retombe, et reprend toujours: cherchant lui aussi la réunion, l’accomplissement de l’oeuvre aboutie:  la fin  du brouillon.

Jeanne est morte, et il est totalement impossible d’en rester là. C’est à dire au commentaire plat de la nécro factuelle et hagiographique – nécessairement un peu menteuse pour cacher les ombres, sans quoi il n’y a pas de lumière, comme chacun sait.

Ça s’est passé dans un fauteuil. On en demande pas plus. Comme quelqu’une qui s’arrête de lire, pose le livre sur le guéridon après avoir tourné l’ultime page.

On imagine un fauteuil tapissé de velours vert pistache un peu moiré et usé mais beau encore, des accoudoirs en acajou, idéalement en ébène. Pas un de ces trucs électrique, ergonomique, laid. Non.

Une scène de théâtre, c’est ce qu’on imagine. De cinéma. Un abat jour de lecture qui s’est éteint, qu’elle a éteint, peut-être volontairement, pour que la lumière irisée du dernier petit matin de juillet 2017 s’insinue avec poésie et sans entrave à travers les grands rideaux de soie sauvage bleus-violette. Les persienne fermées, la fenêtre haussmannienne en espagnolette. Et une femme, la tête à la mise en pli élégante et blonde appuyée sur sa poitrine: un somme.

Si « le vrai scandale c’est la mort », comme elle l’avait écrit pour le chanter, son vrai scandale à elle, ce fut sa vie.

Complètement scandaleuse. Jusqu’à déplaire. Oser déplaire, oser être vache car tellement sûre au fond d’elle de ne pas l’être. Tellement amoureuse, à se permettre des airs faciles, voire un peu pute. Si consciente de la différence entre le personnage et le réel, l’essence et l’apparaître. Consciencieusement cachant sa fêlure et sa blessure (d’enfance, de non reconnaissance du père, etc. etc.?) sous un air dur, provocant. Effronté. Faisant la gueule et puis soudain — quel trop beau sourire.

Le vrai de vrai scandale, ce n’est pas la mort. C’est peut-être la vie, dans une recherche à jamais insatisfaite, trop exigeante, qu’aucune répétition acharnée, aucun travail (ou sur soi?) ne permettra d’aboutir: la fin d’une solitude.

La solitude de la fin. L’autre scandale, la scène de protestation radicale qui signe le dépit de cette éternelle moue boudeuse. Pas méprisante, juste pas contente, sans doute, des relations, des hommes. Comme quoi l’exigeance d’absolu ne peut se satisfaire que d’absolus (Art dramatique, jeu devant une caméra) domaines où la perfection impossible des humains devient presque possible. Une femme qui reconnaissait elle-même sa part d’enfant irréductible. Fleur bleue, mais jamais d’eau dans son vin. Obstinément chercheuse insatisfaite.

Donc, Mort et solitude parfaites. Au coeur de l’été et des vacances, quand tout le monde part, même sa femme de ménage habituelle: corps tant aimé, retrouvé par une remplaçante. Alors que des amis existent encore, Cardin étonnamment encore vivant, et aussi un lac italien quelque part, une treille, du soleil… sûrement quelqu’un, quelque part, elle si connue, partie alors par choix, dans une ombre de vieil appartement du 8ème, comme une inconnue.

En latin ecclésiastique scandalum , dans l’expression petra scandali : « pierre d’achoppement ». Emprunté au grec σκάνδαλον (« achoppement »). Diccit wikitionnaire.

Quand le scandale c’est bien ce qui arrête tout, qui nous stoppe, qui nous empêche d’avancer, nous prive de vie, de liberté.

Butée, comme cette pierre,  et entêtée celle qui y fait face, sans rien lâcher.

Dernière scène et femme trop scandaleuses pour être filmées ensemble, jamais.

Contre cette pierre d’achoppement , contre ce scandale, il y avait peut-être une solution. Un retour au sources, à la simplicité qui rend la pierre douce, ou moins rugueuse.

Question de taille…. des images et des sculptures tracent un parcours silencieux en contrepoint des mots sur les planches.

Statuette du Roi Prêtre

Couple Egypte

El_Beso_(Pinacoteca_de_Brera,_Milán,_1859)

Capture d_écran 2017-08-01 à 15.49.37

 

7- Brancusi Le baiser, 1907, pierre de Marna, 28 x 26 x 21,5, Craiova

 

Extrait du Monde mercredi 2 août 2017, page 16, DISPARITIONS:

 » Un jeudi après-midi de mars 1944, Jeanne Moreau accompagne trois amies à une représentation de l’Antigone d’Anouilh, au Théâtre de l’Atelier. « Quand j’entendis Antigone dire à Créon: « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. Moi je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse!  » ce fut l’éblouissement, l’éblouissement de la vocation », racontait l’actrice. «