Sur la contemplation d’une goutte de lait. (bio, issue de vache jersiaise):
Symptômes du Désir de Pureté
Plus le monde se complexifie, plus les lignes s’épurent.
Ou encore: plus il y a sentiment de complexité, plus il y a effroi, plus la contemplation de lignes simples, géométriques, découlant de lois physiques (la verticale parfaite de l’eau qui tombe) est nécessaire, rassurante.
On parle aussi de lignes pures, comme au premier temps des hommes.
L’Alpha et l’Oméga: l’épure.

Art pariétal préhistorique: Tassili n’Ajjer, Algérie.
Comme la fascination de l’enfance pour le carré, le rond, le triangle. Des pyramides. Des degrés rectangulaires, des cercles. Signes totémiques
Ramener le stade le plus complexe de l’évolution humaine à une dimension simple: la plastique Macintosh. Rôle quasi religieux: transmettre en langage clair une folle nébuleuse arachnéenne: la toile-monde.
Aujourd’hui la pureté est donc à double face: signe d’une intelligence supérieure, politiquement, culturellement, financièrement (donc globalement): celle nourrie au soleil californien et, en même temps, désir d’une limpidité impossible, presque d’un retour à zéro contre le trop plein et l’excès chaotique. Stabiliser le tourbillon: fuir la courbe, l’arabesque. Mais également reflet des lois de la mathématique, de l’informatique qui de la finance à l’hypertechnologie innerve et structure un ordre si mouvant qu’il ressemblerait presque au désordre que par ailleurs il déclenche.
Utopie, mythe entaché.
Dit autrement: l’idée de la pureté rassemble donc en elle la contradiction entre une utopie qui se réalise et une autre de plus en plus inatteignable (à mesure que l’autre se réalise justement). La complexité rationnelle et la simplicité avec laquelle celle-ci se matérialise (dans l’outil hyperconnecté etc.) sont cette réalisation. Le rêve d’un Nirvana, d’un zéro pollution, d’une détox planétaire (via dénucléarisation totale) d’un retour à la paix, à l’ataraxie contre l’hybris, sont cette utopie irréalisable.
La pureté recèle encore une autre ambivalence: celle entre pureté « morale » et pureté esthétique, d’apparat. La rigueur, pureté morale intérieur d’un Cyrano contre la fraise blanche enserrant des tempéraments troubles.
La pureté des apparences a ses démons, cache des démons. Le mots « Reinigung », nettoyage, « Reinheit » pureté, en Allemand connote l’aboutissement extrême, fasciste et fratricide de cette fascination frustrée de l’homme pour quelque chose qu’il ne sera jamais: une espèce « pure ». Et le fait qu’un peuple ait voulu l’être sur un autre a failli le salir à jamais (voire l’éliminer lui même par retour de boomerang). Écueil donc de tous les puritanismes, religieux, moraux, esthétiques…
Désir de Rien comme retour de balancier d’un désir de Tout inassouvi. Jeunesse passant du whisky à l’enrôlement islamiste, anorexie après ou avant obésité. Idem.
Par petites gouttes en l’Homme.
Il n’y a finalement, sans doute, pas de monde pur, pas de jeune fille pure, peut-être même pas d’enfance pure.
La pureté d’un élément est une conception scientifique, chimique. Et toute force a besoin d’alliage.
La pureté, ce synonyme de « fragilité ». Crystal. Presque un manque d’identité, de substance, d’existence: transparence.
Être, vivre, agir, c’est faire le deuil d’une pureté parfaite, sans aller jusqu’à trop se salir les mains (cf Sartre).
Il n’y a pas de pureté, mais il y a la consolation d’instant de pureté. Il ne faut pas la vouloir totale, permanente (crémation, mort, néant définitifs), il faut juste en espérer des éclats, des petites gouttes, d’eau, de lait intact. Un son pur, même si ça sonne faux ailleurs, un air pur, un sourire pur, un regard pur, l’instant d’un oubli, l’instant d’une joie, un pur silence.
Un homme ou une femme purs: après une bonne douche intérieure. Ou après une rencontre, une chance — meilleures parts échangées.
Ne pas croire du tout à la pureté serait la pensée d’un cynique, d’un homme qui n’oserait plus croire à la beauté, à une forme intacte, juste une forme,une courbe, un tracé impeccable, qui n’oserait alors plus croire en lui: non à sa perfection, mais à sa perfectibilité.
On imagine alors facilement un tel homme fondre en sanglots, tout seul, face au souvenir d’une femme, face au galop fou d’un cheval blanc et sentir l’éblouir malgré lui, à l’ intérieur, un flash:
quelque chose de pur.