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I ALLER
Routes jointes
Tu as cherché
Tu as trouvé
Sans toi j’étais vraiment perdu.
Arbres, villes, multitudes
On se cherche on se perd on s’évade on se trouve.
Quand la nuit tombe
Comment faire
Si tu me laisses par ici?
Toi qui as l’air de ne rien voir,
Ne rien savoir ne rien vouloir
Toi qui ignore mon prénom
Où as-tu appris celui du chemin
Qui te ramène
À toi ?
Mais maintenant je tourne en rond
Autour de toi
Ô carrefour
Des jours de peine, des jours d’espoirs
Carrefour des douleurs, beau milieu de ma joie
Sans toi vraiment j’étais perdu.
II ATTENDRE
Pierres jointes
L’église et le tombeau ont la couleur du temps.
Le passé ressemble à ce mur. Il est HORIZONTAL
Et coupe en deux le ciel des morts.
Celui-ci a parlé un langage secret où les morts essayaient de fixer l’éternel.
L’autre a mêlé son sang aux soleils qui tournoient pour embraser la terre et brûler la raison
Toi, tu respires le parfum du sanctuaire
L’odeur des après-midi de l’enfance.
Tout est silence.
Dehors, blé vert, matin des choses.
Le présent se lève à son tour.
J’aime ton visage clos.
III COMPRENDRE
Voûtes jointes.
Le ciel et la forêt ont fermé le passage par où s’en vont les rêves ordinaires.
Qu’ai-je besoin du faux infini de l’espace?
Ce soir le monde est une cathédrale que la nuit emplit lentement de ses ombres.
J’avance, seul vivant.
Vers toi.
Seule vivante
Flamme immobile et droite dans l’axe de la nef.
J’appelle.
De mes paroles j’entends les échos.
Je marche et du plat de la main je caresse la pierre
Mes actes ne sont plus ces oiseaux enfuis pareils aux souvenirs perdus qu’ont effrayés le bruit d’un pas
J’avance
Tu es là
IV AIMER
Mains jointes
Etoffe de Damas et dague de Cordoue
Nil blanc qui prend sa source au désert
Nil bleu qui prend couleur au ciel
Bague d’or incrustée de jade
Iris et source
Presqu’île
Je noue mon être au tien.
Sur ta robe cardinale il faudrait un oiseau de feu
Ou plutôt sur l’épaule nue
Si personne ne sait au sommet de quel arbre
De quelle forêt de quel pays de quelle Asie
Il attend qu’on vienne de ta part
Le saisir
Pour ton seul plaisir
Et d’un seul soir
Tu sais toi
Que j’irai
Mains jointes
Feuille d’acanthe ou oiseau de sculpteur
Bouche mordue visage offert
Paix conquise au prix du combat
Danse et lumière sous le ciel bas
Que ton regard a déchiré
J’écoute en moi l’approche de la grâce
Et je comprends
Qu’aimer
C’est aller vers toi
Et comprendre.
«
F.
8-9 mars 1964
Poème, L’Île de France en Quatre Verbes. extrait des Lettres à Anne, édition Gallimard, 2017.