Elle est assise sur la banquette rayée multicolore que j’aime malgré moi à cause d’une ancienne réminiscence liée à un atelier de laine péruvienne, en maternelle.
Elle, elle a la main à peine posée sur le pantalon beige, dissimulant la cuisse gauche de son ami.
Elle a un visage…
Vous l’avez tous vue.
Elle a un visage, ce n’est pas seulement qu’il est jeune. Ce n’est pas seulement parce qu’il est jeune qu’il a cette fraîcheur céleste. Et ce n’est pas car il évoque le blond et le rose cinglé par un vent lapon, le lait frais et les wasas suédois, de ces pays nordiques où l’on rêve à des ciels bleus layette, que ce visage est céleste, non.
D’ailleurs bien que blond, le teint vif et les joues pleines comme des pivoines, les pommettes saillantes presque slaves, les lèvres naturellement veloutées sans maquillage, dans ce visage en fait, les yeux sont noisettes, mais des noisettes ciselées sous un angle qui les rapproche symboliquement de l’azur.
Elle ne sait même pas qu’elle l’aime, ce garçon évident, à côté ; ils ne se parlent pas d’ailleurs, n’ont pas besoin, ils ont vingt ans tout juste passés et il semblent sortir du même bain amniotique. Mais
Elle,
Vous l’avez tous vue.
Alors, ce n’est pas qu’il est pur son visage parce qu’il est jeune, parce qu’il est blond.
C’est par ces yeux noisettes qui semblent réellement d’une si belle transparence que le monde dans leur reflet est intact, vierge, immense et bienveillant, comme eux.
Ce ne sont pas non plus des yeux d’enfant, ce serait trop facile. Et même les enfants, surtout les enfants du métro, parfois, ont souffert, et leur visage même très blanc, n’est pas sans ombre.
Elle, elle vient d’un monde, c’est clair, qui n’a pas souffert, qui n’a pas de véritable problème, qui n’a connu ni le tragique, ni l’effroi, ni l’amertume qui laisse aux coin des lèvres les rides des amours perdues, gâchées, fausses, manipulées, salies, violées, lacérées, tuées,
Évaporées.
Son être, à Elle, croit encore, sans se forcer, avec espoir, bon, simple, évident, en la vie.
Et c’est si rare, cette vérité de la foi, cette immense beauté dans la bonté, que c’est pourquoi, cette madone millenial de 20 ans, tout le monde, ce jour là, l’a vue :
Elle, c’était ce soleil d’automne, au bout du tunnel, à la sortie du métro.
Un homme de 27 ans a tué deux personnes hier devant une synagogue.
Cette synagogue se situait à Halle, dans l’Est de l’Allemagne. Ces deux personnes assistaient à la célébration du Yom Kippour qui signifie le Jour du Grand Pardon.
Cet homme est de nationalité allemande, tout comme ces deux victimes, qui, aussi étaient donc de confessions juives.
« Être de confession juive » est une expression journalistique qui prend ses précautions pour annoncer la bienveillance dans le fait de dire que ces deux personnes étaient juives, tout simplement, et célébraient une fête millénaire dont peu de lecteurs du Monde, du Figaro, de Bild, et encore moins le jeune tueur ne sauraient expliquer le sens spirituel et les origines théologiques, pourtant très belles, très pures.
Deux personnes sont mortes pour confesser un mercredi d’octobre une foi par laquelle elles demandaient pardon pour leur offenses, par laquelle elles se mettaient en attitude de purification et d’humilité devant une entité supérieure, origine première de toute vie, et que certains hommes s’accordent pour nommer « Dieu ».
Mais ces deux malheureuses personnes n’ont pas été tuées parce qu’elles croyaient en Dieu.
Ni parce que que leur assassin n’y croyait pas.
La question de base est donc :
Pourquoi mercredi 9 octobre 2019 deux humains innocents ont été privés de la vie par un jeune homme clamant que « La Shoah n’a jamais existé » comme certains s’égosillent à dire que Dieu n’existe pas.
Qu’est-ce que la Shoah?
Qu’est-ce que Dieu?
…
Le jeune homme de 27 ans de nationalité allemande et désormais meurtrier serait bien incapable d’y répondre, historiquement, rationnellement, philosophiquement, et personnellement.
On nage en pleine ignorance.
Ce jeune homme de 27 ans, à la question « qu’est-ce qu’être Allemand »? Ou bien simplement « en quoi, en qui crois-tu » serait peut-être aussi désemparé que le héros de Camus, étranger à lui-même, et se tirerait une balle faute d’autre victime à portée de main.
Un certain dictateur schizophrène en fit tout autant jadis dans un bunker berlinois quand face à son échec et à sa propre insignifiance, il lança au monde ce geste du fou qui ne comprend même pas le mal et les millions de morts qu’il a causé, et avale un pilule de cyanure, pour les rejoindre,
On nage en pleine schizophrénie, perte de l’identité culturelle et personnelle, en pleine « folie ».
Mais pas que.
Qualifier un acte de folie de « terroriste », qualifier un acte terroriste » d’acte de folie » tout ça revient un peu au même, ne fait pas avancer le schmilblick, et c’est un peu facile.
Il y a des gens qui chaque année disent encore que la commémoration est nécessaire, et répètent, au sourire un peu narquois et cynique de certains les jugeant inutiles :
« PLUS JAMAIS ÇA »
C’est vrai que c’est idiot de répéter chaque année la même chose. Il faut savoir oublier.
Mais il faut savoir se souvenir aussi.
Est-ce que ce jeune homme ne serait pas la signature de l’échec au moins allemand du souvenir?
« Trop se souvenir, nous ne le pouvons pas. Ne pas se souvenir, nous ne le pouvons pas non plus ».
Là est toute la subtilité d’analyse de cette pensée héritée de la longue tradition qui a su résisté aux pogroms de tous les siècles passés, cette citation de la Torah.
Le jeune homme de 27 ans, a-t-il une mémoire? Une intelligence (« capacité d’appréhender le réel objectivement avec un esprit de raison synthétique, analytique et humaine »?
On peut en douter. Et c’est la son drame comme le notre, collectivement.
Alors ces deux morts, sont au moins la preuve de l’échec éducatif, culturel d’un état, d’une politique pour se remettre de crimes dont il s’est historiquement dissocié mais dont il porte paradoxalement la tâche d’enrayer l’héritage.
Ou de faire que cet héritage ne porte plus de fruits empoisonnés. Et au-delà de l’Allemagne, il y a tout système, celui de la France, de tout pays qui porte en soi la responsabilité des démons qui se retourne contre lui « que n’avons nous pas su faire? », dit aussi la mère peut-être de ce jeune homme, espérons.
Donc c’est très rassurant de mettre des euphémismes. De parler de « terrorisme »… Mais il y a autre chose qui couve, qui est trop compliqué à résoudre, et qu’on cache comme une vieille poussière du temps sous le tapis d’une politique qui n’a pas su être réaliste et regarder la possibilité de résurgence de tous ses maux par la seule transmission en sous main d’un message, d’une figure, d’une période de l’histoire que certains, loin d’oublier, tentent de faire renaître. Pour parler clair, la poussière de l’Allemagne nazie, de l’antisémitisme, et de l’entreprise exterminatrice mise au service de la haine de l’autre. Cette poussière là est de la poudre de bombe atomique.
Non, alors, première réponse, la Shoah n’ « a jamais existé » la tournure passée est erronée. Il faudrait dire « La Shoah n’a jamais cessé d’exister », car Shoah signifie Catastrophe, et que la Catastrophe se joue encore là, maintenant, par ce double meurtre.
C’est étrangement tout un pays, tout un système pourtant plein de bons sentiments, plein de belle bien-pensance qui est en cause. Cet homme de 27 ans, comme tout humain, n’est pas le pur produit de lui-même, mais d’un système, socio-culturel, éducatif, étatique- en faillite, du moins qui a échoué.
Ces deux vies parties hier, c’est un coup de boomergang sorti d’un angle mort dont Merkel et les politiques allemandes mais peut-être aussi européennes modernes portent la responsabilité, et les angélismes aussi. Dans les amalgames faciles du moment, il faut comprendre, par la figure folle mais peut-être pas uniquement coupable de cet homme de 27 ans que tout le monde doit se remettre en cause. Et que l’instinct de mort, la haine de soi dans celle de l’autre, la banalité du mal et tout ce dont les intellectuels discutent depuis 70 ans seront éternellement d’actualité, comme une hydre mauvaise tapie au fond de l’âme humaine et dont il faut se méfier, et dont il est aussi stupide de douter comme de croire que tout sera à jamais résolu, non.
Et cela s’appelle la vigilance, et la responsabilité d’une politique réaliste sur la nature humaine, qui pare aux coups, à la résurgence des démons couvant dans le mal-être et la misère socioculturelle des sociétés, malgré tous les progrès réalisés.
« Qui veut faire l’ange fait la bête », et l’angélisme aboutit trop souvent à ce qu’il voulait éviter.
«
La chancelière allemande portait un nom d’Ange, les hommes avaient tout oublié de l’histoire, tout déformé, pour ne retenir que la haine et la justifier.
La culture avait été bafouée et trahie, on avait jeté le bébé avec l’eau du bain, on avait rien appris , rien retenu, de la beauté de Goethe, des poètes soufis, des citations si belles de la Torah, et quelques scènes de films cliché nous faisait voir des officiers de noir et rouge écoutant les génies musicaux du 19ème siècle.
Michel Tournier, le roi des Aulnes, tout était à réécrire, à passer, transmettre, dans un sentiment d’amour et de fraternité universelle à préserver et pour lequel des hommes avaient donné leurs vies.
Tout foutait le camps à nouveau, en ce début de 3ème millénaire, car le mal est comme une drogue, et l’humanité un camé capable à chaque coup de blues d’une génocidaire rechute.
Les cours d’éthique alors n’avaient servi à rien, on ne connaissait pas plus son prochain qu’en 1938 puisqu’on ne l’aimait pas, puisqu’on avait peur de lui. C’était ça la catastrophe, c’était ça la Shoah, du moins le début de son cancer jamais jamais guéri. C’était maintenant, alors, le temps de la vigilance et de la politique ferme, humaniste, mais réaliste et pédagogique.
«
Page de l’histoire du XXIIème siècle.
Le précipice nous tend les bras, il faut dire non à la haine, mais ça ne suffira pas. IL faut un travail de mémoire, d’histoire profonde, factuelle, culturelle, artistique, et spirituelle.
La question est si effrayante qu’elle paraît aussi folle qu’à l’enfant que l’on avertit de la mort, un jour de sa maman :
Et si la Shoah (culturelle, humaine, climatique) n’était encore qu’à venir, et plus terrible que celle du passé? Et s’il n’était cependant pas trop tard, à condition d’être lucide et de savoir prendre à temps les bonnes décisions? Et de s’Alarmer, et donc d’abord de comprendre et d’ouvrir les yeux, UTILEMENT?