
LA MOURT
Il a fallu d’un petit rien.
La Vie, en son début comme sa fin, se joue sur des petits riens.
Un dérapage, pour le pire ou le meilleur, un recadrage, une syncope, une chute depuis un escabeau, mais aussi, qu’avait-il besoin de monter dessus, qu’avait-il besoin de l’installer sur le sol glissant et concave de sa baignoire?
On croit toujours tomber involontairement, sans l’avoir fait exprès. ça vous saisit, on croit que ce n’est pas notre faute.
Est-ce notre faute de tomber dans la mort, ou dans l’inverse?
On ne sait pas.
Tout ce qu’on sait, à jamais, c’est vraiment qu’on ne sait pas.
ça nous dépasse.
Bref, un tsunami se pointe sur la plage, l’avion n’a plus de moteur, le cheval se cabre sur un pont (il est si doux d’habitude) il fallait réparer le rideau de douche. Quelque chose s’est coincé dans l’aorte, elle ne mangeait poutant pas de mauvaises graisses… enfin le coeur lâche, ou au contraire s’ouvre comme des poumons après une plongée dans les abysses: c’est la grande mort ou la petite, le noir ou le rouge amoureux. Les deux sont si liés, et le français le dit si bien entre toutes les langues.
Il lui manque un T
Elle a oublié son U.
Peut-être qu’au fond, les deux c’est pareil. C’est l’Effroi, quand c’est là. Sinon ça n’y est pas. Si on en rigole, c’est qu’on est pas si malade.
L’amour fait mourir à soi.
La mort fait mourir tout court.
Le vrai amour donne envie de mourir sans toi.
La mort est préférable à une vie sans amour.
La mort ne serait pas triste sans l’amour.
L’amour ne serait pas vital sans la mort.
Eros et Thanatos intimement liés dans un tango étroit, une valse jazzy et légère après tout, pas forcément tragique, mais à un moment ou un autre, à un moment,
ou un autre
douloureuse.
C’est pour mieux jouir, mon enfant. C’est pour mieux emmêler les deux élans dans un seul.
On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, merci de régler en Paradis.
Mieux vaut être (se dit on dans les draps de l’emmêlement) que de ne pas y être.
Mieux vaut ne plus être que de ne jamais avoir été.
Paradoxalement peut-être, seul l’amour au sens amoureux total tue la peur de la mort. L’amour du sacrifice par la mort.
La mort du sacrifice par amour. Il faut s’imaginer la figure héroïque du Christ comme un homme capable de ressentir « cet amour là » dont parlait Prévert, élargi à l’ensemble des êtres. L’amour Orphique, du type ou de la nana qui se fout des enfers, du noir, prêt à tout endurer, l’épreuve ultime du néant même, pour faire revivre l’amour. Juste un instant, au moins.
La peur égoïste de la disparition de notre ego, cette angoisse banale de notre condition à laquelle nous renvoient les larmes sur ceux que l’on aimait pas forcément, le rappel tragique de notre petite nature finie n’existe plus dans le moment de l’amour infini comme dans celui de la mort d’un être aimé. Il y a décentrement de soi même, ou recentrage avec notre essence vitale plus profonde encore que notre mesquine conscience individuelle.
Cet élargissement cosmique, « sentiment océanique » évoqué par Valéry, on peut avec raison faire l’hypothèse qu’il est celui dans lequel la mort, pareillement que l’amour, nous fait tomber.
Donc il ne faut pas avoir peur.
Comment se convaincre d’une vision si folle et si juste? Si naturelle… Ce qui germe est ce qui va tomber. Ce qui tombe est ce qui va faire germer. Penser: cycle naturel, sorte de fatalité qui ne serait ni bonne ni belle, si elle ne rendait au pas sage, heureux.
Il ne faut pas avoir peur.
« ES IST GUT* » a dit Kant, ce grand sensuel pudique, avant de s’éteindre.
* « C’est bien/ bon ».
