Ce matin-là, même les oiseaux n’étaient pas nombreux à désirer se réveiller.
La lune au-dessus de la mosquée, comme un point sur un i, dans le ciel pur de l’aube. Le parfum du désert, de la mer non loin.
Frédéric, dans une simple chemise de lin blanc et un pantalon bouffant noir moiré, s’était assis sur le banc de la terrasse– la fraîcheur du bois dense, la tasse de thé parfumé qu’il s’était fait servir. Le silence absolu du monde le mis à l’écoute de ces quelques chants d’oiseaux qui comme lui, avait décidé de profiter de la vie au plus tôt.
Il pensa au sultan Al-Kâmil, qui malgré toute sa sagesse devait paresser encore jusqu’à midi dans un de ses lits trop mous, près de femmes trop grasses à force de nonchalance et d’amour absent. Frédéric II empereur d’occident, décida d’oublier Al-Kâmil. A même le sol dallé, à sa droite, étaient posés dans la même attente que sa tasse de porcelaine, une édition illustrée du Coran en arabe, une autre de la Bible en grec. A sa gauche sur un guéridon marqueté d’ivoire, des papiers fin de Bagdad.
Le tout sagement en attente. Dans le deux livres saints, il continuerait avec délectation son étude de l’arabe et de la poésie sainte. Sur les parchemins, il savait que sa main écrirait des lettres. Pour une femme sans doute qui ne saurait pas les lire, il n’avait pas l’intention de les lui envoyer. Comme le fait de prendre plaisir à lire les textes anciens ne signifiait pas nécessairement la foi.
Au fond de lui, sûrement croyait-il, sûrement aimait-il, du plus profond de son âme d’humain. Ou seulement avait-il envie de croire et d’aimer, mais cette envie n’était-elle pas déjà un premier pas ineffaçable vers Dieu et vers l’amour ?
Des lambeaux de nuages roses commençaient à poindre au levant. Il ferait sa prière aux premiers échos de l’appel.
Une telle paix, une telle pureté saine du monde l’étonnait ; il n’y a pas si longtemps, pas si loin encore, des hommes s’étaient dévorés entre eux, littéralement. Telles étaient les abominations que tout un chacun, après quelques prières d’expiation au Ciel, se devait de regarder avec indifférence pour survivre, comme toutes les abominations grandes ou petites, que l’homme ne pourrait jamais s’empêcher de commettre.
Depuis combien de temps n’avait-il pas « mangé » de chair humaine ? Mordu dans un être adoré, plus tendre que le sien?
Un parfum voluptueux descendait aussi de cette lune croissante, montait des jardins et des ruelles où un boulanger commençait à faire cuire les premières galettes du matin. Il pensa à celle qui ne lirait jamais la lettre qu’il n’avait pas encore écrite, et se rappelant que le bonheur est fait d’imperfection comme certaines amours impossibles, il se rasséréna : jusque dans sa tendre amertume, l’existence de cette femme donnait une saveur particulière à ce monde terriblement beau. Et il remercia son destin.
« Keliah va Demneh », chacal essayant de repousser un lion, Perse, 1429.1er Janvier 2022-Paris.