OEUVRE AU NOIR CACHEE DERRIERE

Dans un train

il n’y a pas très longtemps, Pierre Soulages avait cent ans. Son épouse aussi, c’était écrit dans le journal, qui, dans l’écran noir de la vitre double vitrage, se reflétait. C’était un moment de bonheur du réconfort après l’effort.

Jade allait rejoindre un ami, après une trépidante journée de travail, un ami près de la frontière allemande, un ami peintre. Elle savait pourtant qu’être peintre ne garantit ni l’amour à vie, ni la longévité. Néanmoins, elle avait aimé ce moment plein d’espoir tranquille, au moins dans l’accomplissement des rêves à court terme.

A la croisée d’un titre de Marguerite Yourcenar et de celui d’une chanson de Laurent Voulzy, j’ai pensé à l’homme si grand au nom qu’il porta peut-être au début comme un défi à accomplir, et finalement, le réalisa.

Il faut être fou pour être peintre. Obsessionnellement peintre. Puisqu’un jour de ses sept ans, un petit garçon pour représenter de la neige « pris du noir », tout le reste n’est qu’une suite logique. Une logique en apparence parfaitement maîtresse de sa folie, comme le chaos géométrique des grandes solives noires barrant la toile.

Pierre se soulagea-t-il? De cette chose noire cachée encore derrière la lumière cachée derrière le noir? Ou le ciel?

Si la lumière est belle, c’est toujours à travers le poids du noir, encore plus incroyable comme la vie à travers la mort.

L’oeil est invité à se frayer un passage dans des voiles ou des enchevêtrements comme par dessous une cabane de branches ou un bucher, regarder dehors, sortir, et le passage devient beau, c’est le reflief du chemin de la vie entre le noir et le blanc, et vice versa.

Couleurs élémentaires et éternelles, noir, blanc, bleu et terre minérale, hors du vivant.

Soulagement?

Oui et non, assurément. A chaque oeuvre, à chaque nécessité d’une nouvelle oeuvre. Mécanique de toute création un peu thérapeutique. Même si son noir était lumineux, comme aurait dit un prophane bien franc du collier « ce n’était pas gai » non plus.

La beauté, sans doute la vraie beauté grave, ne rit pas aux éclats. Le regard de Soulages ne riait pas aux éclats.

Quelle était cette chose derrière la chose?

Sans faire de trop grande métaphore psychanalytique: en 1926, à sept ans, on apprend dans sa biographie qu’il perd son père.

Que par la suite sa mère et sa soeur qui l’élèveront garderont le deuil, ce qui signifie à cet époque, « être en noir », pour toujours.

Image d’en-tête: « 3 Mai 1962 », Pierre Soulages, huile sur toile, Detroit Museum of Art

Image de fin: « Bouquet » quai de l’Ourcq, 26 octobre 2022