TOUCHER– LE JOUR LE PLUS COURT

Redescendant de sa Montagne tous les jours, il ne manquait jamais de s’arrêter à l’embranchement des deux routes.

Très tôt, à l’heure où l’aube pointait à peine, parmi les brumes encore fantomatiques montant du sol, grises, bleues, balayées par l’ombre des moutons mal réveillés, entre les effluves d’herbes fraîches et de pots d’échappement mal débouchés.

Là. Il s’installait sur un petit promontoire, le ventre tout juste nourri d’un verre de lait chaud ou d’un bouillon d’herbes.

Il prenait sa respiration, il ne savait pas pourquoi c’était toujours là, à ce moment là qu’il devait faire ça.

Dieu savait, vraiment, lui seul savait, combien d’années ses yeux noirs dans lequel se reflétait le bleu du Ciel auraient encore à le contempler : combien de mois, combien de siècles ? Ressusciterait-il ? Combien d’heures encore pourrait-il entendre le son de son instrument et s’abîmer en lui, oublier la nuit, sourire au jour ?

Ce n’était pas lui qui existait.

Lui, le pauvre M de la montagne, il n’avait jamais existé, vraiment. Il prenait son vieil instrument, à vrai dire aussi vieux ou jeune que lui, il jouait, voilà, c’était tout : entende qui avait des oreilles.

Pourquoi parler de prophète ? Il était à peine poète. Il n’était qu’un instrument, pas plus.

Un instrument jouant d’un instrument, voilà ce qu’il était. Il le savait bien. Depuis ce jour-là : il l’avait compris. Qu’il n’était rien du tout, d’autre qu’un faible instrument de rien de tout, chargé de transmettre juste un petit son, un minuscule écho, de la grandeur infinie du Ciel, de Ce qui le faisait respirer, et faisait respirer les cordes de son instrument. C’était tout.

TOUT.

Ce matin-là était un peu particulier. Ceci-dit.

C’était le jour le plus profond des temps. Le jour où le soleil nous abjure de nous taire, d’écouter, de plonger tout au fond du son tout noir et lumineux : à l’intérieur de nous-mêmes.

Fermer les yeux : jouer.

Attendre enfin. Bon sang. Se disait-il par un petit mouvement de révolte, d’espoir.

Bon sang, que depuis toutes ces années de prières et d’ascèse, et de va et vient entre la Montagne et la Ville, ce ne soit pas que des automobilistes et des piétons préoccupés qui l’écoutent à peine, entre le bêlement des jeunes agneaux et des bergers navigant entre les bouchons.

Bon Sang, et le sien était calme, serein, plein de joie dans sa musique. Voilà qu’il l’attendait depuis si longtemps, malgré la beauté des étoiles, la nuit, au dessus de sa grotte, sur la montagne. IL l’attendait.

C’était plus fort que lui.

C’était comme la musique, si elle signifie quelque chose. Avant que ses yeux cessent à jamais de refléter le Ciel.

Si seulement jouer ainsi, toutes ces aubes, avaient fini par atteindre le but intime, le dernier égoïsme en son cœur.

Toucher.

C’est ainsi que disait sa mère. « Tocas bien ».

Tu joues bien. Tu touches bien, c’est ainsi que l’on disait, dans la langue de sa mère, il y a des millénaires.

Enfant. Jouer à toucher, toucher à jouer. Joue contre joue.

Joue !

C’était encore cette main ferme de douce matrone qui le poussait devant les gens « Vais a ver, como este niño va a tocar ! Ojillas ciegas ! »

Vous allez voir ce que vous allez voir, bande d’oreilles aveugles.

Il rougissait, son intrument était presque plus grand que lui, alors.

Il ne savait rien encore. De la Montagne, de la main qui continuerait à le pousser à jouer par delà le Temps et la mort. De son attente assoiffée, malgré les étoiles et malgré cette présence indubitable, incommensurable, Dieu, le Ciel, le TOUT, comment dire ?

Ce matin-là, à l’orée du jour le plus court, il espérait au bout de toutes ses prières émanant aussi de l’instrument… la toucher, l’apercevoir une dernière fois, au cas où cette année qui repousserait après ce jour soit celle d’une nouvelle vie. Il serait heureux, d’une petite goutte de joie, et elle aussi.  S’il pouvait la toucher…

Il joua.

Et ce jour-là, si court pourtant, parce que si court, sorte d’urgence, la joie fut plus forte, l’inspiration plus intense. Il réalisa la vanité de son désir individuel, tout en jouant. Il perdit complètement pied, les pédales, mais pas les cordes.

Il suivit le fil dicté depuis la Montagne dont la présence au loin lui disait : continue, n’arrête pas de jouer.

Il ne savait plus son nom, il était en train de mourir : de vivre.

Un embouteillage monstre se créa.

Les agneaux, les SDF de la zone, les bergers en joggings, les jeunes et les vieux dans leurs voitures, sur leurs scooter, tout le monde éteignit sa radio, son smartphone : on dit plus tard qu’ils s’étaient éteints tout seuls.

IL n’était plus vieux, il n’était plus jeune : il jouait comme on donne sa vie pour quelqu’un qu’on aime, pour qu’elle ait, enfin, un Sens. Pour la beauté du son, des accords magiques que quelque chose lui dictait. Il n’inventait rien. Concentré, fluide, heureux. Ça allait être une rudement belle journée : tout le monde soudain oublia ses problèmes. Tout le monde sentait en lui la résonance de cette joie, depuis l’instrument connecté au Ciel.

Il allait exploser. C’est ce jour là si petit qu’on commença à dire qu’il était peut-être plus qu’un fou vivant sur la montagne, un poète vêtus de nippes, juste un musicien.

Elle aimait danser.

Qu’est-ce « aimer danser » ?

C’est ne pas pouvoir se retenir. C’est l’électricité qui saisit le corps, qui vient de l’instrument qui vient du Ciel via un  homme en nippes. Qui touche bien, qui joue bien. Comme dans les contes, le dernier jour de toutes ses attentes.

Après des années d’absence, elle était revenue au pays. Elle s’était levée très tôt pour aller voir le soleil teinter de rose et de blanc les hautes cimes au-dessus de la ville, comme vingt ans auparavant.

Qui l’aurait prédit ? Ce n’était pas un morceau si profond, pas un air à faire se fissurer les glaciers, non. Ce qu’on dit plus tard « Gigue, suite N°4 ».

Mais gai, divinement irrésistible. Pur. Enfantin et très sage. Superficiel et grave. Voilà que ça commença : alors elle n’y tint plus. Malgré sa pudeur, sur la petite place au milieu du monde figé comme les oliviers givrés plantés là sans rien dire, écoutant eux aussi :

Elle dansa.

Il la vit.

IL revit.

Mazette. Ce type joue bien, « Toca bien ! » il touche bien, voilà ce qu’elle se dit, et toute la ville avec elle, qui se mit à tourner en cercle, danses folles, tous les styles, autour de lui. Puis elle s’approcha de lui, touchée « toccata », prudemment.

Cela faisait des siècles, mais, tout de suite,  ils se reconnurent.

Photo d’en-tête: chant des roseaux, Nil, îles Elephantines, Asssouan, Egypte. 2017.

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ÎLES ET AILES

Hommage reprise minuscule, Lucien Ginsburg ( 2 avril 1928-2 mars 1991), texte dédié et chanté dans Amours des Feintes par Jane Birkin.

Journée des elles, le 8 mars, lundi dernier, journée d’une île, le Japon, 10 ans après Fukushima, texte de Yukio Mishima, première page de « L’Ange en Décomposition », La mer de la fertilité IV. Océan, océane, monstre tapis, belle endormie, survolée d’ailes mystérieuses, et propices :

«  TROIS oiseaux semblèrent n’en faire plus qu’un tout là haut dans le ciel. Puis, en désordre, ils se séparèrent. Il y avait du prodige dans cette façon de se réunir, puis de se séparer. Cela devait signifier quelque chose, DE SE RAPPROCHER AU POINT DE SENTIR LE VENT DANS L’AILE VOISINE, avant de s’éloigner à nouveau dans l’azur. IL ARRIVE QUE TROIS IDÉES SE REJOIGNENT DANS NOS COEUR ».

«  Des ils et des elles

Où il est question des ils et des elles

Ils i.l.s et elles e. deux l.e est-ce

Parce que je sais

Qu’entre nous deux c’est

Fini il s’fait la belle

Sur qui tombera-t-il sait-il laquelle

J’irais dans une île, si j’avais des ailes

Et à travers ces

Courants traversés

Je fuirais le réel

Un jour sûrement saura-t-il que j’étais celle

Qui l’aura aimé plus qu’une autre plus qu’elle

Maintenant je sais

Je sais ce que c’est

Que l’amour au pluriel

Où il est question des ils et des elles

Ils i.l.s et elles e. deux l.e est-ce

Parce que je sais

Qu’entre nous deux c’est

Fini il s’fait la belle

Peut-être m’en restera-t-il des séquelles

De ces turbulences en parallèle

Moments à passer

Pour oublier ces

Délires passionnels... »

TAPIS ROUGES (et bleus)

Il était une fois un monde où tout semblait avoir changé. Un monde plus incertain que jamais, en équilibre sur une planche de surf, en plein tsunami, tentant désespérément de jouer le pari du Lotus.

Monde de l’éphémère, de l’impermanence et du virtuel comme parachèvement d’une civilisation globale.

Monde flottant, nomade, où les tapis bien utiles et reposant de la prière, se transformeront par une nécessité vitale, en tapis de rêves…

Le tapis rouge du hasard nous déroule ses histoires...

Enfermée bien dans ses plis, il nous découvre la vie...

La vie, et sa poésie
Le vie, et tous ses ennuis
La vie cachée dans la nuit
La vie folle sous les souris...


Le tapis rouge des hangars, des grands entrepôts d'l'Histoire
Stock de nos beaux orgueils, nos fragilités, nos deuils

Nos deuils en technicolor
Nos philosophies sonores
Nos coups d'épée indolores
Nos anesthésies au chlore

Le tapis rouge de la chance, du bon côté d'la balance
Devant l'spectacle de la souffrance notre bonheur, notre indécence.

Et le tapis rouge... comme l'amour
Pendant que la mort fait un tour
Le tapis bleu de l'oubli
Comme la mer et comme un lit

Comme un lit, comme un tapis magique
Pour un prophète qui s'envole loin faire la fête
Et danser
 dans l'infini...






Images clrisselee. Paris/ Bretagne.

PATRIA

Du féminin sur du masculin, père-mère, terre ferme, terre femme, femme patrie:

Patria.

Remettre les pieds par terre, retrouver sa terre, retrouver, ou trouver: un corps stable et ensoleillé qui nous rappelle l’enfance, sans savoir pourquoi.

Un bout vocal pour chanter le retour à une terre quittée et à une femme oubliée depuis si longtemps qu’on croirait ne jamais l’avoir connue… Et peu importe les années et le Temps, qui n’est jamais perdu, quand il nous mène, contre vents et marées, finalement, à bon port.

TU

Ne voulais pas la revoir, comme on a peur du noir…

Amour, adolescent (ya trop longtemps…)

Tu voulais la garder, puérilement, folle, et fraîche, dans ton souvenir… tu voulais

L’oublier… un peu lâchement… peur aussi

De la retrouver

plus belle qu’avant.

Les années ont passé, d’autres que toi l’on connue…

La poussière, bitume est devenue

Une ride là, sur sa joue nue : rue, qui n’y était pas.

Qu’est-ce qu’elle en sait, la terre,

De ceux qui passent, sans jamais rester… c’est elle qui possède

Ces obsédés, et n’appartient qu’à ceux

qui l’ont aimée.

Comme toi, aussi, ouvre bien l’oeil

Vers le bleu de la mer, et du ciel

Lumière

Contre le mur blanc

En toi

Surgit l’enfant…

Elle te sourit déjà,

Ignore les ombres, tout autour

Elle t’attendait, tranquillement, depuis

Toujours.

Alors… tu la reverras…

Comme une

Première fois

Et vous saurez que tout est encore LÀ

Et vous rebâtirez sur ce retour… votre

Nouvel

Amour

votre nouvel amour…

LES POSSIBILITÉS DU NIL

Loin de l’Egyptomanie en conserve des musées sous temps gris.

Loin des bousculades du Louvre et des séminaires ludiques pour petits écoliers occidentaux.

Loin de tout ce qu’on apprend, car le désert… nous souffle les mots.

Nous coupe le robinet.

Pas de mots, pas de flots, juste le phrasé silencieux, mystérieux du fleuve.

Juste le grès, la diorite, le granit, donnant envie d’être poussière, d’y rester : ne jamais revenir.

Se faire nous aussi un tombeaux de couleurs somptueuses cachées dans la montagne, sous les miradors, à l’abri des regards et de la violence au-dehors.

« Mazette », rendre la mort si belle, l’infra monde si splendide qu’on en aurait envie.

« Mazette », faire sourire un empereur avec la douceur d’un Bouddha (avant lui).

« Mazette » comprendre que c’est le ciel qui fait l’homme, et ici le soleil. A l’époque, pour le Nord, dite « préhistorique » où de lointains ancêtres celtes s’enorgueillissaient de quelques mégalithes bringuebalantes, le dieu Amon-Rê faisait ciseler des visages, élever des tombeaux, et polir la pierre des chapiteaux en haut des piliers grandioses.

Comment ne pas croire au soleil?

Statuaire magnifiant la beauté de qualités intrinsèquement liées:

Finesse, intelligence, sagesse et force. Densité dans la légèreté.

Un autre monde humain nous fait face et nous interroge : et nous lance des possibilités d’âme et de grâce peut-être oubliées. Voire inconnues.

La Liberté? Dans l’informe et l’hypocrisie des contradictions actuelles?

La pureté? La stabilité? Après le lessivage des dictatures du XXème siècle, elles nous font peur.

Alors malgré les têtes monumentales tombées, tout cet enchevêtrements de 3000 ans d’histoire un peu désordonné, on peut trouver notre « ordre mondial » chaotique et les chaos des empires éteints emprunts d’une immense paix.

La mort? Une entrée dans un monde plus coloré où rebondissent des soleils comme des balles de tennis vermeilles.

La douceur, l’amour, la tendresse? On sait bien qu’elles sont explicitement absentes des livres sacrés. Mais pas besoin de grands ébats lubriques, pas besoin de grands éclats christiques sur l’amour du prochain. Il n’y a qu’à voir les mains de pierre qui s’entrelacent, les regards qui se croisent, et le mythe fondateur où Isis, dit-on, par grand amour d’Osiris parvient à recoller les morceaux… non pas de leur couple à jamais uni,  mais du corps mutilé pour lui redonner vie.

Peut-être bien que le silence cache l’évidence et qu’il y a dans la pureté et le soin des corps et dans le respect de la ligne noble une leçon de profondeur et de sensualité qui nous dépasserait.

Peut-être. Sans doute?

Sur des eaux paisibles, bleu cendré ou indigo, on remonte le cours du temps, dans les replis d’un continent « père-mère ».

Le Silence comme seul réponse à l’émotion, à la remise en cause de tout ce que nous sommes. Ou croyions être.

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SI LEN CIEUX

 

ACCORDÉON SILENCIEUX

 

Dans la rue de Levis

L’est un accordéon silencieux

Un accordéon silencieux

Qui joue tout doux, tout petit

Dans la rue des gens heureux

 

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Dans la rue de Levis

L’est un accordéon silencieux

Un accordéon silencieux

J’y pense tous les midis

J’ l’ écoute avec les yeux

 

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Avec les yeux, rue de Levis

Passent des sons silencieux

Des sons silencieux

Qui s’glissent en catimini

Dans les coeurs, pas tous joyeux

 

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Dans la rue de la vie

En fermant les yeux

Fermant les yeux

Un accordéoniste sans bruit

Joue des airs silencieux

Venus des cieux,

Venus des cieux.

😉

 

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                                                                                                                                              ©lr.isselee

 

FAR OUEST

Il était une fois, dans un certain Ouest, il y a très longtemps, des images de chaps très amples sur de grandes jambes, sans doute celles de John Wayne. Une chanson d’Eddie Mitchell, et d’ailleurs,  le dit Eddie en personne installé dans une salle de cinéma, tout seul.

Ce sont des souvenirs, presque de la nostalgie… et puis finalement, non, pas de nostalgie.

On pourrait parler de la douleur de la disparition: comme s’apercevoir de photos ou de montages un peu puérils effacés par mégarde d’un blog encore imparfaitement maîtrisé. On pourrait en ressentir un petit pic au coeur: un vase de grand-mère se brise. Voilà. C’était comme ça, c’est irrécupérable. On a pas fait de sauvegarde, et de toute façon, la sauvegarde éternelle n’existe pas.

Bon. Finalement les chansons d’Eddie Mitchell sont un peu tristes comme un vieux chewing-gum remâché longtemps après avoir perdu son goût. On insiste: ça ne sert à rien. La Fille Menthe à l’Eau à l’instar de la Dernière Séance donne un jour envie de zapper, d’employer un mot exprès, qui ne se disait pas en 1987, passer à autre chose:

Le Présent.

Donc l’Avenir, la vie, le flux.

Mais malgré tout, les films de Cow-Boys et d’Indiens du mardi soir nous rattrapent: on échappe pas au clins d’oeil du Hasard.

Comme sous une vieille couche de papier peint déjà ancien on en redécouvre une autre, plus originelle, vintage, presque précieuse, voilà la façade surgie derrière la devanture en démolition du cinéma Pasquier, 44 rue Pasquier, M° Saint Lazare, Paris:

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On pourrait écrire un tas de choses un peu poussiéreuses et grise comme cette image. Un soir de février 2012 où le chauffage ne marchant plus, il y eut une dernière séance sur le film de Patricia Mazuy, Sport de Filles, où le froid glacial forçait les spectateurs à garder leur blousons, parfait pour un film d’équitation, « comme si on y était », en extérieur, se pelant de froid comme toujours au bord d’une carrière où tourne un cheval. Dernière image, on reste là dessus, ironie du sort et lien subtil.

Un film un peu à l’ouest, vrai et brut sur les chevaux comme ultime expérience d’une salle qui nous ramène ainsi au rideau qui tombe de la chanson d’Eddie, aux cinémas qui disparaissent, et celui-là, s’appelait en réalité, on le découvre au moment de sa fermeture emblématique: le Far West.

« Drôle », donc pas tout à fait triste, quand même.

Σ

Il y a d’autres Far West qui ne se ferment pas. A l’intérieur. Qui ne se fermeront pas comme des pas de danse de côté, des petites folies et des sursauts pour faire différent, complètement à l’Ouest, frais. Les grands Ouest mythifiés depuis le début,  Sergio Leone, les couleurs vives du vrai ciel bleu, et même les noirs et blancs encore plus intacts, My Darling Clementine, John Ford, la désinvolture cavalière et calme d’Henri Fonda…

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Pleins de rêves barrés très à l’Ouest, grande lumière, pas de regard en arrière, tant pis si un fichier remplace une projo sur écran du Pasquier, c’est le cours des choses. L’essentiel: qu’un ado de 14 ans visionne en 2017 sur son mur de chambre ou son écran Mac les contrastes violents et que leur fraîcheur atemporelle le fascine, le charme, l’envoûte.

S’il faut disparaître pour renaître,  se transformer pour évoluer mais pour rester, alors, rien ne mourra— surtout pas le Far West.

Ω

Ailleurs… quelque part aussi très à l’Ouest, d’autres pas de danse courent sur des planches au clairs de lune breton, des baskets aux pieds, des piercings au lèvres, ou des robes à fleurs, ou des galoches d’antan… parfums de plages et de crèpes, et de bouses et de brumes, de bruines et de soleil, d’air iodé et chaud sur les plages finistériennes aux  eaux de caraïbes…

A chacun son grand ouest, son  Fest Noz breton, ses rêves cinématographiques qui n’ont même pas besoin de « résister » puisque leur charme profond attirent la vie et la jeunesse, aujourd’hui, demain, vers eux, tranquillement…

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©clrisselee

 

 

 

SAMBA RÊVÉE

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Il y a là du piment, il y a là quelque chose de violent.

Sauvage, amusement.

Des jeux. Des fantasmes qui cherchent toujours à se réaliser, Rio mythifié.

Déception souvent de la réalité.

Une samba rêvée, année 50, tropicalisme, Orphée Noir aux cimes des mornes surplombant une baie.

Airs de bossa, Jobim, immeubles flambants neufs, jazz et syncopes africaines enlacées.IMG_8522

 

Invention d’un style, une balle perdue dans une salle de rédaction de presse.

Cité de Dieu. Central do Brasil. Jorge Amado, Bahia de tous les Saints…

Des amis qui n’arrivent à plus d’heure mais toujours souriants, toujours avec au moins une guitare. New-York à vingt ans.

Métissages explosifs, kitsch, tongs. Antipodes étasuniennes de l’intégration culturelle, des origines qui dansent ensemble ou s’entretuent avec égalité, disparités, l’Amérique la plus encore africaine qui soit, et indienne.IMG_8523

 

 

 

 

Révoltes paradoxales, tropicales; cris de guerre murmurés, voix flirtant avec art à la limite du ton faux, Veloso. Férocité douce, multisexuelle, também, aussi.IMG_8527

Balade brésilienne à Paris. Pas besoin d’y aller pour y être. Cœur musical surtout, qui bat, se bat samba, batucadas qui résonnent un peu partout. Pas besoin de le voir pour le sentir. Bonne humeur en intraveineuse, juste quelques cd, magie d’un ou deux accords caressés sur des cordes.

Un soleil fou, 7 août 2016, on y est, sans avion.

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SUBMERSIONS

 

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Comme d’autres font diversion.

Submersions pour subversions. Ne pas dire.

Clichés début de siècle, une date faisant foi.

Comme d’autres sont en intervention; lâcher la bonde; ouverture d’écluses.

Se méfier de l’eau qui dort, quelques remous vicieux que l’on sent à la méfiance rasante des mouettes.

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Comme des images qui seront peut-être les mêmes dans cent ans, qui plaisent aux touristes pouvant encore mettre pied à terre sèche, qui auront été enfin témoins de Quelque chose, d’assez hors de l’ordinaire pour distinguer leur témoignage, mais de « trop hors-de-danger » pour en faire une aventure dont on ressortirait héros. Bref, l’événement idéal des badauds du dimanche; ici-présente.

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« La Seine sort de son lit…! même un dimanche matin!!! »

Il y a des enfants qui rigolent sur un pont de Paris, au dessus des cours houleux, ceux des eaux, toujours moins inquiétants que ceux des matières premières et des prévisions à long terme d’une émission http://www.rfi.fr/emission/20160605-matieres-premieres-marches-miroirs-tensions-geopolitiques-economiques-planete qui fait froid dans le dos, en remontant les eaux étales du canal de l’Ourcq… Sos-Méditerrannée aussi, naufragés qu’on ne dépeint pas de couleurs vives.

Le fleuve parisien alors. Images éternelles, presques rassurantes face au trop plein de chaos planétaire dont on attendrait, pour longtemps encore, et en vain, la décrue.

 

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« Derrière Toute Porte Close… »

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« … se trouve un mystère scellé de sept sceaux. » in Le Sable et l’Ecume, Khalil Gibran.

 

 

Depuis plus de deux mille ans, un jeune juif sans chapeau erre dans une rue du Marais. Sa barbe est revenue à la mode, on le prend pour un acteur. Certains le croient blond, certaines le veulent brun. Il est tellement sage et fou qu’il a l’air vieux. Il cite Gibran avec des milliers de siècles d’avance et se dit visionnaire, voire mieux.

C’est un dimanche après-midi de l’an 2016, beaucoup de monde dans cette vieille rue parisienne, car ce sont les vacances qui commencent, celles d’hiver, malgré le soleil printanier. Il s’appelle Matyah, mais c’est peut-être un pseudo d’écrivain. A quelques mètres une militaire blonde en treillis et kalach’ au bras sait qu’il l’a abordée un soir et lui a révélé son vrai nom, mais c’était peut-être un pseudo de prophète. Du moins l’a-t-elle pensé.

Il est beau, pas parce qu’il est beau, mais parce que ses paroles sont douces et son regard va avec. Même si les deux ont l’air souvent un peu ailleurs. La jeune militaire qui un instant, en parlant avec lui en a oublié l’Etat d’Urgence, celui d’ici et de là-bas, très à l’Est, s’est laissée embarquer dans un discours sur la montagne qu’elle n’a pas complètement saisi, une histoire de petite porte par laquelle il fallait passer, se serrer la ceinture quoi, quand c’est dur, et que après, pffuit, ça passe tout seul.

Pas bien compris, Judith, la jeune soldate, le treillis lui va bien. La queue de cheval aussi sous le béret. Et Iésouha, enfin Matyah, une voix douce et virile  lui parle: la porte se trouve juste là, celle du paradis, la voix la lui montre: un mètre de haut, Judith ne passera peut-être pas.

La foule a disparu et la rue est soudain déserte. On se croirait un 13 novembre 2015 à midi, c’est le couvre feu, c’est la guerre alors. On peut se promener tranquille, quitte ou double. C’est la guerre.

Judith décide de retirer son béret, elle est en jean et T-shirt blanc sous le treillis, il ne fait plus froid, l’angoisse donne chaud, elle rend son arme à son collègue avant que lui aussi ne disparaisse.

Abandon de poste. Dernière ballade dans Paris, avant que  tout ne pète.

Matyah et Judith marchent désormais main dans la main, comme n’importe quel couple, ou presque, ou le dernier. Inconsciemment ils remontent les quais, peut-être pour trouver une issue. La mer.

Une biche au passage leur fait une oeillade.

IMG_8336Elle ressemble un peu à Judith, l’oeil inquiet et fuyant. Sur ses gardes, cachée sous des symboles violents et confus.

Judith voudrait bien demander à Matyah quels sont les sept sceaux qu’il faudra décacheter quand s’ouvrira la petite porte bleue du paradis ou d’un nouvel enfer.

La biche est acculée à un mur, loin à l’Est le tonnerre gronde, mais les parisiens atterrés- terrés chez eux réalisent soudain que le ciel est bleu pastel comme souvent en hiver; ça ne peut pas être le tonnerre. Pas l’apocalypse non plus, il fait trop beau.

Judith soudain se sent extrêmement curieuse, de tous ces gens effrayés, de ce silence, de la main tranquille de Matyah; quelque chose, d’une manière ou d’une autre, va leur être révélé. Que les hommes sont fous, qu’ils n’y a pas qu’eux sur terre, et que Dieu va bien rigoler sans doute quand il les verra tous s’autodétruire jusqu’au dernier. Tout comme un enfant devant une termitière en feu.

Matyah et Judith décident alors de s’en foutre un peu: ça a atteint une telle urgence, plutôt, ce nouvel Etat, que paradoxalement, ça semble calme. Oeil du cyclone. Il n’y a peut-être plus qu’une minute à vivre, ou des milliards. Mains enlacées: une éternité à la fois sage et insouciante. L’important c’est la gaité, légereté profonde. Et les mouettes s’ébattent dans les reflets argentés, elles ont toujours l’air d’enfants joyeux.

IMG_8323 (2)C’est ce moment que choisi Matyah pour embrasser Judith, devant les mouettes étourdissantes, dans la jolie lumière rasante au fil de l’eau. Exactement au  même instant quelque chose d’absolument tragique se produit, là-bas, ici, pas loin ou forcément tout près, là où tout à commencé et où tout voudrait finir, à l’Est et à l’Ouest d’Eden.

Mais Matyah a bien pris soin de refermer la porte; ouf, ils sont passés, et c’était celle du Paradis: sept baisers. Et les mouettes sourient.