ARRÊTE TES CONNERIES!

Arrête tes conneries.

C’est à peu de choses près la phrase qu’on disait aux vieux enfants pas sages, aux ado attardés, en modulant parfois le vocabulaire, l’injonction, tendre, indulgente, ou bien exaspérée, violente:

Arrête tes conneries!

À l’âge adulte, au cas où l’enfant éternel n’ait jamais jamais réussi à obéir à cet ordre surhumain, de toute façon, il est toujours assez grand pour se le dire à lui même, en pleurs après le plaquage de son premier flirt, ou un peu plus tard, rajustant sa cravate Armani au sortir d’un grand-hôtel parisien, le coeur et le corps chavirés, à 19h30, un vendredi soir. Plus que 30 min pour joindre Auteuil dans sa Porsche métallisée, pourvu qu’il n’y ait pas trop de trafic, et que sa femme ne remarque pas le soupçon d’eau de Guerlain florale dans sa barbe de trois jours, impeccable sur ses fines joues d’homme irrésistible :

“Mais arrête tes conneries!” On imagine l’interprétation, Berry ou Cassel, se parlant à eux-même dans le rétroviseur avant de faire ronfler le moteur de la bonne conscience retrouvée.

Cependant, il convient d’analyser un peu l’expression.

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Léa Salamé il y a quelques jours au micro d’Inter, un certain Nicolat Hulot venant à peine de finir sa phrase : “ Euh… Vous êtes sérieux là”? En clair donc:

“Arrête tes conneries!!”…

Certaines conneries en sont-elles? Dire des conneries, n’est pas toujours en faire.

Faire une connerie, n’est pas non plus la dire.

On peut faire quelque chose qui ne soit pas du tout une connerie (comme le Sieur Hulot) on peut tout à fait divorcer pour se marier avec la femme de sa vie et transformer le 5 à 7 en 50 à 70 ans et plus, et ne pas du tout faire de connerie, et pourtant entendre des gens vous dire :

“Arrête tes conneries!”.

Commenter cette phrase revient donc un peu à commenter l’actualité de l’humanité en général et depuis toujours. Le fait même de vouloir la commenter serait alors en soi sans doute la plus idéale connerie: la connerie suprême étant de croire en la fin de la connerie, comme au bonheur et à la paix éternelle. De surcroît à perdre un précieux temps à réfléchir sur elle.

“Arrête de t’imaginer que tu peux arrêter la connerie”. Amen.

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Ce qui est complètement incroyable, et qui m’est arrivé récemment, c’est que quelqu’un, en l’occurrence un type qui de renommée parisienne n’arrête jamais de faire que des conneries, m’assène, précisément à une période de ma vie ou je suis en train d’arriver à ne plus en faire aucune, mais plus aucune connerie depuis des semaines :

“Arrête de faire des conneries”.

En toute logique, lorsque j’ai entendu donc cette phrase, j’ai pensé qu’il se parlait d’abord à lui même. Ou que s’il me parlait, donc à moi qui ai totalement arrêté d’en faire, il ne pouvait que se montrer ironique. Antiphrase typique. Mais tel n’était pas le cas.

Ce qui nous ramène donc au fondements de la phrase, à sa dissection sémantique commencée plus haut.

Et SI arrêter radicalement de faire des conneries était toujours en faire une? L’arrêt radical peut être fatal. La connerie comme l’alcool, une petite connerie de temps en temps, un petit verre de Chablis 1er cru occasionnel : avec modération, mais pas avec éradication.

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Érasme de Rotterdam publiait en 1511 à Paris un texte adressé à son ami Thomas More qui venait d’écrire et d’inventer par la même occasion l’une des premières utopies politiques de l’ère moderne “Utopia”.

Le livre d’Erasme lui s’intitulait et s’intitule encore en français “L’Éloge de la Folie”.

Rien de grand ne se fait sans passion, disait à peu de chose près le philosophe allemand Hegel.

Rien d’humain ne se fait sans folie, peut résumer en gros la thèse du livre d’Erasme.

Rien n’advient sans une certaine dose de connerie, sans un petit grain, sans outrepasser un peu la mesure de l’absolue rationalité, humaine, inhumaine, peut-on en déduire.

 

Tout est folie, tout est un peu connerie.

“Arrête de faire des conneries!”

Arrête de faire des enfants qui au pire te pourriront la vie et le portefeuille et ta mauvaise conscience jusqu’à ta mort, ou te feront mourir s’ils meurent avant toi, au mieux : doubleront au minimum logique ton empreinte carbone sur la planète, et pollueront comme tu as pollué, par leur seule existence, même s’ils font moins de conneries que toi. Arrête d’être fou, donc arrête d’aimer.

L’argument fondateur de tout le discours du grand philosophe de la Renaissance est là. Sans connerie, pas de vie.

Sur la page Wikipédia que, par connerie et paresse, nous consultons ici pour la vérification de la date de parution du livre d’Erasme, nous découvrons par ailleurs deux portraits de lui, par deux peintres géniaux de son temps, Hans Holbein et Quentin Metsys.

Sur les deux tableaux se confirment le profil aigu et les joues creuses d’un homme rieur dans sa prose latine, mais ascète et austère, peu déconneur s’il en faut, dans cette vie que certains disent plus réelle que l’autre.

Erasme 2018-08-31 à 13.02.57

Quentin Metsys.

Ce n’était donc pas là le visage taillé par les séances de muscu et de cardio dans un club sélect de la capitale française. Ce n’était pas là sûrement l’oeil intelligent et latin de l’homme qui se regarde un soir de mai, conscient d’être fou amoureux, dans le rétro de sa Porsche et qui sait déjà que certains diront que ce qu’il va faire est une connerie mais que sans ce type de connerie, rien ne vaut d’être vécu: il ne peut pas vivre sans Anne, il quittera Danièle et va lui annoncer dès son retour…

La Porsche crisse sur le gravier, sous le perron de l’hôtel particulier version Renzo Piano. Il boit peu avec les hôtes du soir (certaines conneries qui n’en sont pas obligent à limiter celles qui pourraient faire penser qu’elles en sont, comme s’enivrer avant d’annoncer à sa femme…)

À minuit trente, l’énorme vase sang-de-boeuf (dynastie Qing) du hall éclate sur le marbre noir du premier étage, et une brune de 49 ans encore très belle qui n’aime plus un homme qui ne l’aime plus non plus , pousse un hurlement sardonique et malheureux :

“Arrête tes conneriiiiiiies!!!!!!!!!!!!!!!”

Comme il adorait ce sang-de-boeuf et qu’il croit voir un instant reluire, dans le reflet de ses brisures, l’image d’un futur en morceaux… il se ravise, et, mimant avec talent l’homme dévasté: demande “Pardon! C’est des conneries…”.

Le lit de la chambre d’ami est hyper confortable, ça tombe bien, et cette nuit là, après une journée forte en émotions mazette, il s’y endort comme un bébé, ayant décidé de commander le même matelas mais en king size pour l’appartement qu’il va acheter à Anne. Pour le coup, et pour compenser, sans doute une vraie de vraie connerie: celle de ne pas oser en faire une bien franche.

Reprenons.

Faire des saines conneries rend parfois les autres malheureux, mais pour leur bien.

Faire des conneries, de bonnes conneries, donne le sentiment d’être parfaitement heureux, et parfois, pas que le sentiment.

Il est peut-être rationnel de ne pas faire de conneries, mais totalement déraisonnable.

Trop de raison tue la raison.

« Le mot “connerie” vient du latin con qui désignait dans la Rome antique un petit lac d’eau salée et toujours pure au milieu de l’Etna éteint dans lequel les vestales du temple de Vénus venaient se baigner nues une fois par an, pendant leurs congés d’août. »

Mais non. Quelle connerie.

Le mot connerie vient en réalité de Con. Et con, vient de con. Cf la chanson “le Blason” de Brassens.

Déconner : est-ce sortir du con ou trop y aller?

Le mot ne le dit pas avec assurance, d’où cette étrange ambigüité: faire une connerie, c’est faire quelque chose de mal, ou qui fait du mal: sentimentalement, physiquement, aux autres, à soi-même, généralement  à tout le monde.

En gros, du moment qu’on se sent bien et que tout le monde est content: pas de connerie à l’horizon.

La Connerie est donc subjective et ses critères de repère sont tout à fait socio-culturels: n’est pas con qui veut dans tous les pays et avec tout le monde. Ta connerie dans tel cercle culturel peut te valoir une palme d’or ou un prix Nobel ailleurs.

Quoi de plus con pour le jouisseur invétéré, pour le night clubber, pour le petit dealer non pris et roulant en Mazeratti que de s’enfermer dans un monastère roman reconverti en palace, au milieu d’un petit vallon toscan, et d’y écrire pendant des mois, reclus, des pièces de théâtres, des romans, des chansons?

Quoi de plus con pour un habile intellectuel trouvant sa jouissance dans l’écriture de chroniques pour le Monde ou le Figaro entre deux tasses de thé au curcuma, que de sortir le soir et d’aller danser la salsa avec des émigrées sud américaines dans des cafés bobos de la Villette ou des bouges de banlieue?

Je suis vegan et j’aime ça, tu manges des côtes de boeuf et ça te fait du bien, du moment que tu n’emmerdes pas trop la planète ni ton prochain. A chacun sa folie, à chacun sa connerie. Tout est relatif.

Arrête ce qui te fait du mal et te rend malheureux, parfois même, arrête de trop arrêter de faire de conneries, tu mourras sage, mais triste. Sans l’envie de faire tout le temps des conneries, tu ne serais peut-être pas devenu un grand acteur, tu n’aurais pas monté cette boîte qui fait vivre des tas de gens et leur permet de faire un tas de conneries avec leur argent, si tel est leur bon plaisir… tu ne les aurais jamais fait rire.

 

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Sur le sceau de sa bague, Erasme avait fait inscrire sa devise “Nulli concedo” je ne fais de concession à personne, ou bien je ne cède à personne, ou je ne cède en rien. Elle était la devise du dieu romain de la mort “Terminus”, sorte de rappel de la vanité de la vie “memento mori”. Emblème d’austère tenue morale et intellectuelle.

Un de ses élèves lui avait offert une pierre antique dans laquelle était ciselée la figure d’un dieu, et qu’il avait fait enchâsser dans cette bague. Erasme voulu croire qu’il s’agissait du dieu Terminus mais il se trouva que cet élève, devenu archevêque, lui avait offert en réalité la représentation joyeuse d’un tout autre dieu : Bacchus, dont la devise est quelque peu différente:

Memento vivere, souviens toi de vivre, en résumé:

“N’arrête jamais de faire quelques conneries, apprend juste à choisir celles qui te permettent de vivre plus heureux, dans le respect des autres, libre et content”.

 

… 😉

 

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Fresque d’image d’en-tête : 50 ap JC, Pompéi, suite du dieu Bacchus.

GRANDS DÉPARTS

OU: ORANGINA BLUES

« 

 

“Pourquoi l’amour nous fait souffrir alors qu’il devrait nous rendre heureux?”

Dit comme ça, c’était vraiment con, mais c’est peut-être ce dont elle avait besoin.

Marie-Lou me tournait le dos. Elle avait relevé ses longs cheveux avec une pince, pour pouvoir peindre plus à l’aise. Depuis des mois elle n’allait plus se les faire couper, et une espèce de tignasse naturelle, un peu blonde et sauvage éclaircie de fils blancs poussait en ondes erratiques, que la pince canalisait avec peine.

J’étais assis dans son canapé de velours bleu aux reflets nuit. Pendant qu’elle peignait ou qu’elle parlait, ou pendant qu’elle faisait les deux en même temps, moi parfois je n’étais plus là.

Je marchais avec des gens sur une avenue côtière élimée, avec des montagnes bizarres d’un côté et la mer de l’autre, dans une sorte de pays qui aurait pu être montré au JT, un pays du Levant en guerre ou ailleurs, je n’ai pas envie de dire le nom, mais malgré tout un pays que j’aime, je dirais “là-bas”, je marchais, avec des gens, jadis. Cette image et le flux créatif de Marie-Lou m’empêchaient de penser à quelqu’un, m’amenaient ailleurs, me charmaient, et c’est tout ce qu’il me fallait : des déviations.

 

“Pourquoi le soleil brille, pourquoi tout va bien, et puis soudain tout va mal, pourquoi tout s’embrouille, tout s’assombrit à cause d’une éclipse de sourire, juste un visage qui ne nous aime pas, ou plus?”

Elle ponctuait chaque respiration de grands coups de peinture rose-bonbon, jaune-paille, vert-anis, bleu lagon, comme des slash dans sa phrase, comme des retours à la ligne que la couleur transformait en poésie.

Sa palette était simple, mais subtile. Pop, mais pas criarde. Abstraite et figurative, du Rothko fusionné avec Matisse ou parfois comme un zoom de Manet et un dessin de Cocteau. Cette étrange peinture me faisait du bien aussi. J’aurais peut-être aimé avoir son talent, sans sa souffrance.

“Ivan?

– Oui?

-Tu m’écoutes?

-Oui”

Elle me tournait donc le dos. À la fois pour que je puisse contempler sa toile en construction, mais aussi pour me dissimuler son regard bleu-grave, inquiet-révolté, fragile-si ému.

“Alors? Tu en penses quoi? Je suis conne, c’est irrémédiable?

-Tu es amoureuse, c’est tout. C’était inévitable. Accepte ton coeur. C’est lui le con.”

Elle poussa un gros soupir. Demeura figée trois bouleversantes secondes, le pinceau en l’air. Je sentais qu’elle pleurait. Mais peut-être seulement trois larmes. Elle respira un grand coup, puis reprit son travail, en silence.

Je continuais ma promenade le long des constructions et de la mer, ou était-ce un fleuve? Je ne me rappelais plus. Un fleuve immensément large, ou bien une anse, avec ces drôles de bosses de chameau dans le repli de terre au loin. Je marchais, et personne ne me tenait la main, mais ça ne faisait rien. La chaleur, le soleil, les grands cris en arabe que je ne comprenais pas me réconfortaient. Me tiraient de moi-même et de ma peine.

Le bruit du pinceau sur la toile était celui des vagues léchant la berge. Je n’étais pas recroquevillé en position foetale sur un canapé, je n’étais pas abruti de vieux rhum. J’étais debout, je ne comprenais pas davantage les choses qu’à Paris, pourtant tout avait un sens. Un vieux vendeur momifié somnolait les yeux ouverts derrière son petit étal de pastèques et de figues fraîches, et la poussière sablonneuse du sol brouillait parfois la lumière d’un halo jaune qui retombait comme du sucre glace sur les fruits, au passage d’une vieille Mercedes. Tout était comme ça. Stagnant dans l’air de la fin de matinée, vraiment sans raison de vivre, d’être là. J’achetais cinq figues au vieux, avait-il jadis été amoureux? me demandais-je. Était-ce lui qui avait fait souffrir, ou elle? Avait-il connu le sentiment, ou l’indifférence? Ses rides étaient-elles celles des tourments apaisés, ou l’affaissement d’une paix continuelle et lente? Était-ce une tortue, un homme… ou une femme après tout? J’avais perdu Maja.

Elle s’était fâchée, je n’y pouvais plus rien, pour moi c’était irrattrapable. J’avais tout fait, et tout c’était trop. Je n’avais pas su la sauvegarder de la frayeur que mes sentiments lui inspiraient et il s’était brisé, notre lien si tendre, comme un oeuf dans ma main, pleurant tout son jaune à travers mes doigts serrés.

Voilà. Mais j’étais loin, et je mangeais mes figues, et tous tant que nous étions, sur cette jetée et même ailleurs, si nous y étions, c’est que nous avions évité la mort, et que nous avions survécu à l’absence d’amour, et pire, à sa perte. Donc tout ne gazait pas si mal, au fond.

Marie-Lou vint s’assoir à côté de moi. Elle prit une bouchée du fraisier et une gorgée d’Orangina. Je me demande si elle faisait ça par harmonie colorimétrique ou par bizarrerie gourmande.

“Tu es là?

-Non, je suis là-bas.

-On est dans de beaux draps.

-C’est clair, c’est la merde et la connerie en gratin façon mille-feuille.

-Tu penses qu’il faut se révolter, résister, se battre, ou laisser pisser, ou dormir? …Leur écrire,  leur pardonner? “

Elle me regarda et je réalisais que tout à coup moi aussi je chialais. Ça faisait des semaines qu’on se retenait, à force de jouer nos rambos sentimentaux.

“Il faut partir”.

« 

 

 

Marie-Lou

SÉRIEUX ?

ou

 « EN DESSOUS DE TOUT »…

 

On avait commencé la soirée par un dîner parfait, impeccable, resto classe qui théoriquement jugule les envies de trop déborder, verbalement. On faisait nos mecs sages, nos mecs assurés, beaux avenirs, grandes ambitions. Tombeurs au repos.

“Marco” n’est pas son vrai prénom. C’est son prénom de pote, au civil il s’appelle Marc, j’allais dire comme tout le monde, enfin, Marc pour faire comme quelque chose de passe-partout, de biblique tradi, et de fort en même temps, à cause du lion.

Question force, au physique, ça va. Mais je l’appelle Marco, pour la touche ritale, son grand-père maternel je crois, pour le petit talon d’Achille de l’apôtre de la drague qu’il est.

J’ai longtemps vécu comme lui. Donc j’ai beaucoup d’indulgence, sauf que moi je suis passé au niveau supérieur, celui de la distance, de la maîtrise, de la stratégie. Lui cale encore dans une espèce de purgatoire sentimental : donc il souffre, il devrait pas.

Ce soir-là, il avait l’air bien pourtant. En apparence. Sauf qu’il n’avait pas faim et qu’il commanda direct toute une bouteille de vieux Volnay. Je n’ai rien dit, il m’avait prévenu que le vin serait pour lui. OK. Dehors il pleuvait, une pluie douce et parfumée d’été, à cause du parc non loin. De mon côté les choses allaient bien, ça tournait, dans le bon sens, je venais de rencontrer Marianne, que je laissais doucement devenir folle de moi, sous ses abords distants. Elle avait confirmé un verre pour le lendemain, donc je m’estimais un des trentenaires les plus heureux de Paris, c’est à dire, en gros, de la planète et le seul problème c’est que du coup, dans le métro le matin je me sentais obligé de filer un euro dès qu’on me le demandais, j’avais un peu honte, et aussi au réveil je touchais du bois de ma table de chevet en me disant que Dieu était un peu trop sympa avec moi et que comme, sauf respect, il faut toujours se méfier des coups de pute divins, je priais pour qu’il oublie l’addition. Tout ça à cause de mes origines morales judéo-chrétiennes. Et pour souligner à quel point je suis  un mec vraiment bien.

Bon.

Ce n’est pas que Marco ne soit pas un mec bien, pas du tout. Voire le contraire. C’est un garçon qui donne beaucoup. Gros coeur, gros morflage. Mais non content d’être sensible, et pour compenser, il a aussi quelque belles réserves d’un courage bien frappé dans le coffre.

Tout de suite à sa gueule, les maxillaires saillantes, le regard vif parcourut la salle pour repérer la nana la mieux (une américaine fragile et blonde, dans l’alcôve du fond, avec sa mère).

Ça sentait le gars qui vient de prendre un sacré gnon, limite KO, mais repasse les cordes et hop, sur le ring again, sourire en prime.

Donc ce mec est bien, seulement, et c’est hyper paradoxal, son désir sentimental d’aimer et tout ça, le rend sans doute encore plus égoïste que moi, à la limite du violent. Il arrive à se convaincre que la fille est en train de passer à côté de la relation (et par métonymie, de l’homme) de sa vie (lui).

Comme je suis un cran en-dessous, dans la catégorie mégalo, je m’estime donc plus juste, donc ma manière d’être un mec bien, sans grand éclat, fait sans doute de moi quelqu’un de meilleur. Mais je lui fais jamais sentir.

Pour preuve irréfutable : c’est toujours lui qui me demande conseil, jamais l’inverse. Au physique, j’admets, et encore uniquement sur la masse musculaire, il est peut-être mieux. C’est un nageur. Moi je cours, et tennis. L’eau est plus apaisante, preuve encore qu’il gère moins son stress. J’arrête là pour la comparaison. Sinon je l’aime, c’est mon pote, quelque part des filles d’un niveau un tout petit peu supérieur aux miennes tombent amoureuses de lui, donc il doit quand même avoir un truc que je n’ai pas, mais en l’occurrence, et vu l’état où ça le fout, ses amours, tant mieux pour moi ; chacun est content de ce qu’il est en final, comme souvent chez les hommes.

 

Ce qui l’emmerdait donc, c’était pas lui, en tant qu’individu, c’était de retomber toujours et toujours dans la même came. Les visages changeaient, le goût variait, légèrement, mais l’addiction était la même.

Il me résuma en gros tout le flirt, enfin, dans sa vision la grande histoire d’amour, à grands traits d’humour, pour mieux se planquer.

Plus il en riait, plus je sentais qu’il en chiait, un peu comme dans certaines cultures africaines.

Les types qui ont beaucoup d’humour sont peut-être tous d’origine africaines, comme les premiers hommes. Ou des types qui en chient plus, aussi. Sensibles. C’est ce qui me vint en tête en l’écoutant. Une autre chose que je me demandais : comment il arrivait à tomber aussi profondément amoureux, aussi souvent. ?

« Souvent » : c’est à dire en moyenne tous les deux ans. D’après lui, celle-ci rentrait plutôt dans le cercle des récurrences sur 5 ans. Donc elle était plus rare, et d’autant plus dangereuse pour l’équilibre psy et physique de mon ami.

Tout en parlant, il arrivait à boire plus que moi. Ça me faisait mal pour le vin divin qu’il s’enfilait comme du petit lait. (Ou du jus de tomate, pour ceux qui n’aiment pas le lait).

Pour sonder un peu la profondeur de la plaie, je lui demandais le prénom de cet obscur objet de son désir, comme ça, l’air tout naturel en re-picorant une tranche de pata negra et un bout de pain aux sésame. (On en était encore à l’apéro).

Un ange passa, il fit mine de pas m’entendre et repris sur sa lancée. Sans relever qu’il ne m’avait pas répondu, j’attendis juste un vrai blanc (pendant son verre de rouge) :

“Alors?

-?

-Elle s’appelle comment?”

C’était plus grave que prévu. Ça ne sortait même pas. Il se passa la main dans les cheveux, il a une belle implantation Marco, c’est vrai que c’est un beau mec, les nanas s’imaginent pas que ce genre de gueule peut vraiment avoir des sentiments, avec tous les airs de comique qu’il se donne parfois… Enfin : Gros soupir d’intro, puis une amorce, in petto :

“… Rien!

-Sympa. Si toi tu lui ressors le vieux truc d’Ulysse à Polyphème, moi “personne”, toi “rien”, ça sera un peu la multiplication du négatif pour réussir à faire un truc à deux, genre un gosse… mais bon, tente.”

Quand même un sourire, mais triste. Pas gagné. Apparemment je lui demandais un gros effort. Comme si dire le prénom allait la faire apparaître, ou le trahir, ou les deux : faire apparaître son kif, le mettre tout nu. Il lâcha :

“Kim.

-Version Bassinger ou le Lion?

-Au début Bassinger, maintenant plutôt Lion.

-Pour la crinière?

-Pour la crinière, pour le regard flippant, et l’air sage qui peut te sauter au cou d’un bond… tiens c’est pas mal ton truc. Si je l’appelais le Lion d’ailleurs, ça lui va bien. Aussi pour le côté rêve d’enfant… apprivoisement… sûr…

-Pour la queue non?

-De cheval, quand elle relève la crinière. Bon allez, arrête, c’est une folle, une chieuse, si les lions avaient des seins ça se saurait

-On les appellerait des Sphynx… belle?

-Du charme, mais pas vraiment, ça dépend de l’angle, oui et non, je sais pas. J’essaie de me dire que non. Quand je la regarde j’arrive même pas à la voir, ou le contraire. Ça fait comme un brouillard, y’a le regard mais le reste, j’pourrais à peine te la dessiner”

Avec son métier, et en réalité depuis bien avant, Marco dessine très bien. Pas forcément de talent expressif original (quoi que s’il arrivait un peu à sublimer ses échecs amoureux de manière intelligente, Picasso serait déjà loin derrière). Mais bon, quand il veut, c’est le mec qui peut, en dessin. Un cheval, le trait fin, une gravure. Parfaite. Manifestement cette fille l’empêchait d’y voir net, en gros l’aveuglait. Typique.

Le défaut de Marco, en tout, c’est aussi sa qualité : il s’accroche, il veut aller au fond des choses. Quitte à avoir des réactions assez originales, incongrues, saugrenues, dangereuses, cinglées. Professionnellement, ses paris et son audace sont presque toujours gagnants.

En amour, ça le fracasse.

Il le sait. Il recommence.

Je lui avais déjà expliqué la bonne méthode, rien à faire. Je me souviens qu’en la lui expliquant (ça arrive à n’importe quel professeur expert en sa propre matière) je m’étais même mieux compris. La métaphore du surf, par exemple. Je lui avais dit “Tu vois, la nana, bon, c’est comme une vague. La passion c’est comme la mer, ça bouge, ça part en tempête en un rien. Et toi, ce que tu dois faire, c’est pas te mouiller. Tu surfes. Tu kite-surfes même. T’es là (imagines toi bien, l’imagination ça va te guérir) t’es là, ça bouge de partout, mais t’en a rien à foutre. Peut-être qu’elle a des requins dans ses eaux, peut-être des débris de plastiques, peut-être qu’elle veut que tu la dépollues, mais toi tu surfes, tu continues. Ensuite t’atterris sur la plage, tu la regardes se calmer de loin. Et quand tu l’as bien regardée, bah… tu peux partir skier dans les Alpes.

En gros faut que ça glisse. Crois moi : l’indifférence revient, l’attachement n’est pas irréversible.”

Tout ce qu’il avait trouvé à me répondre c’est que pour moi c’était facile, parce que je n’étais qu’un baiseur sans coeur. Et que l’attachement de surface, ça n’existe pas.

Après cet échange, trois mois auparavant, je m’étais regardé dans le miroir et j’avais découvert qu’en effet, j’étais tellement bien parvenu à surfer que mon coeur avait du réduire de taille. J’étais certes cynique, mais au moins je me sentais bien. Tout à fait réaliste. Jamais malade, comme lui. Bon. Que lui dire cette fois? Il n’avait retenu aucune de mes leçons.

“Marco, écoute-moi bien : tu vas faire gicler cette nana de ta vie fissa. Tu CASSES. Tu comprends ça?”

Je l’avais interrompu un peu brutalement, je n’écoutais plus ce qu’il me disait pendant que je me remémorais notre précédente cession de métaphore thérapeutique avec le surf. J’avais balancé ma phrase comme une hache en pleine poitrine : splash! Il me regardait, de ses beaux yeux verts fendus, tout coi :

“Tu lui tords le cou. Tu l’expulses. Tu la zappes.

-??!!

-… oui. Tu la TUES! Bah oui mon vieux. C’est cruel, c’est la vie, la survie. Tu tues cette putain de chose débile qui t’obsède, tu prends cette partie si faible de ton coeur et de ton corps, et tu balances, hop, à la poubelle, ou au feu, si c’est plus pur pour toi.”

Son front se déplissa. Un air plus intelligent, presque serein, envahit tout son beau visage. Il me regarda avec gravité après un assez long silence qui m’en boucha un coin :

“Pierre?

-Oui?

-Tu as quel âge? “

Je me demandais s’il insinuait que je parlais comme un immature ou si vraiment je devais lui dire mon âge? J’optais pour le constat simple, mathématique :

“         33.

-Trente-trois ans, répéta-t-il méticuleusement, en faisant tomber chaque syllabe comme d’un compte-goutte homéopathique.

-Pourquoi ?

-Et moi ?

-Quoi et toi ?

-Et moi, j’ai combien ?

-Quoi, en plus elle t’as fait oublier ton âge?

-Non, elle me l’a rappelé au contraire, et donc ?

-Attends… ta fêté tes 30 je sortais avec Mélanie… donc c’était… ça fait un bail, dis donc, déjà huit ans!

-Voilà.

-Voilà quoi?

-Le moment de changer de paradigme, comme dirait Edgar Morin.”

Nos entrées étaient arrivées, un éclatement oeufs-morilles-provolone pour moi et lui je sais plus, c’est mon assiette qui comptait, et, souvent j’oublie qu’on devrait toujours aller dans un bon restau avec un mec chiant, pas avec un super pote comme Marco, non plus avec une gonzesse qu’on arrête pas de regarder et d’écouter prendre des déviations avec les yeux brillants. Non. On devrait aller au resto quatre étoiles avec sa grand-mère, sa soeur, à la rigueur son ex, si tout est bien à plat.

Maintenant il me paraphrasait du Edgar Morin, alors là! Et nos passes de judos verbales viraient à mon désavantage. Il est comme ça. Il a l’air complètement foutu, puis il a cette capacité morale, ou intellectuelle, à vous prendre à revers. On veut l’aider, et vlam! il nous rétame d’un coup sec sur le tatami. Il était bien parti pour du moins :

“ Toi, par exemple, c’est vrai ça. Tu me dis de casser, de faire le dur. Tu me donnes toujours un tas de conseils imagés comme si j’étais un gosse, tu me fais des dessins, mais toi, où t’en es? Ça te sers à quoi ta philosophie blindée ?

-A me sentir bien, à maîtr…

-…Îser. Mouais. Mais est-ce que tu sais ce que tu veux, est-ce que tu as une vague idée de ce que serait ta vie en final, je te dis pas avec la fille de tes rêves, beaucoup trop flippant, mais une espèce relativement similaire, la quasi fille-femme de tes attentes… tu t’es déjà vraiment posé la question? “

Évidemment. Évidemment que je me l’étais posée la putain de question. M’avait d’ailleurs bien mis le moral à zéro. Comme disait mon père qui n’a jamais réussi à être fidèle, “évidemment, il y a un manque mon fils”.

Pour être un mec qui maîtrise et se sent bien, il n’y a que deux options : soit tu ne réfléchis absolument pas du tout, ou alors à la perfection. Soit tu as une lucidité curative sur ton passé, soit comme t’y arrives pas, tu fuis.

Je crois pour ma part que je fais un peu les deux. C’est exceptionnel. Selon que j’ai la force d’être intelligent, ou l’envie d’être con. Mais il faut une vision à peu près limpide, et à la base, je l’ai quand même construite sur l’analyse obligée (et autonome, sans psy) du couple parental. Surtout du profil de mon père. Et donc j’en suis arrivé à la conclusion quand même pas très funky, qu’il avait épousé ma mère pour le physique essentiellement, qu’il n’y avait jamais eu de réelle osmose amoureuse entre eux et que, selon la traditionnelle faiblesse masculine, l’amour véritable, l’amour-amoureux lui avait fait bien trop peur pour être mixé au mariage. Peur, de perdre le contrôle.

Évidemment, donc. Et moi j’avais la même peur, et selon encore le schéma de l’engrenage tragique, il y avait peu de chances pour que je trouve en moi la ressource morale inouïe pour tordre le cou à mon destin. Toutes les femmes importantes ou qui auraient pu le devenir, je les avais fuies, ou quittées. Le tonnerre de Zeus attisé par les larmes d’Aphrodite grondait peut-être au-dessus de ma tignasse savamment ébouriffée, mais j’y étais tellement habitués que j’entendais plus rien. Un peu comme les battements cardiaques.

“Non, moi j’attends rien, je vis, c’est mieux.”

Je songeais à Marianne. Est-ce que je voulais vivre avec elle? Sûrement Non. Je ne la connaissais même pas cette fille. Mes vues étaient bien plus court-termistes. Déjà passer une soirée avec elle, peut-être une nuit. Tester. Qu’est-ce qui pourrait-bien me décider à rester avec une femme? Vraiment je me le demandais. Peut-être qu’elle m’aime vraiment profondément ? Non, parce que dans ce cas je la quitterais aussitôt.

Je le laissais savourer son petit confit de perdrix au gorgonzola et olives vertes, et je zieutais dessus, j’aurais peut-être dû prendre pareil. Il avait commandé une deuxième bouteille, un Bourgogne encore, mais blanc, idéal, pas trop frais, et en but une petite gorgée :

“ Finalement, je te demande des conseils, mais qui sait si c’est pas toi qui en as le plus besoin? Peut-être que ta maîtrise c’est une sorte d’immaturité dissimulée. Peut-être que la sensibilité et mon désir d’être amoureux ont raison. Qu’est-ce qu’on veut? Moi? Plus que le bonheur, avant tout un sentiment de puissance, de liberté… Toi tu crois que cette Liberté tu vas la trouver dans la dissipation. Moi j’attends de la rencontrer dans une cervelle-coeur de sexe féminin en face qui annule mes moindres peurs, et me donne l’énergie d’être encore plus moi, d’exploser. Je sens que c’est ça, d’autres me l’ont dit. J’ai besoin de ça. Je dis pas que c’est une vision plus noble de l’amour… même si je le pense. Je sens au fond de moi que tous les types qui tournent en rond jusqu’à la fin de leur vie à côté de la plaque amoureuse, il ratent. Ils se voilent la face. Ils font les marioles, mais il n’arrivent pas à la cheville des mecs qui profondément Aiment. C’est pour ça qu’ils n’apaisent jamais le manque qui leur fait peur en même temps. Donc je vais faire tout le contraire de ce que tu me dis. J’adore cette nana, je sais pas pourquoi, c’est beaucoup plus profond que d’habitude, donc quitte à me cramer, je vais au moins être en accord avec moi-même. Je ne veux pas avoir de regrets, il faut bien prendre des risques…”

Quelques rares fois, un homme qui n’a pas une culture immense trouve le moyen de placer le peu qu’il sait avec finesse et juste au bon moment, et s’il le fait avec tact, comme s’il en avait encore des tonnes en réserve comme ça, franchement, c’est l’Impression garantie. Je savais ce que j’allais dire, quel dommage que Marianne n’eusse été là pour m’entendre elle aussi!! :

It seems to be a flaw of nature, inflexible and inexorable, that those who will not risk cannot win”… “Cela semble être un vice de la nature, inflexible, inexorable, que ceux qui ne veulent pas risquer ne peuvent gagner”, John Paul Jones.”

Je ne sais pas si Marianne aurait fait la même tête que Marco, sans doute non car il faut bien me connaître pour savoir que ça peut être que de la confiture sur ma tartine à trous. Comme il souriait l’air du type à qui on la fait pas, j’expliquais:

“Lu dans le passeport d’une ex américaine dans un retour New-York-Paris où je m’emmerdais. D’ailleurs je m’étais dit : “l’amour du risque”, tu parles c’est bien beau, mais c’est aussi risquer l’échec, et l’échec fait mal, donc le risque est un danger

– C’est sa nature même couillon. Pas de danger affronté, pas de risque pris, pas de danger de souffrir, pas de danger d’être heureux non plus, à choisir. Et ben, heureusement que t’es sorti avec cette américaine, rien que pour ta culture…”

La conversation avait donc transité comme ça doucement vers un petit niveau supérieur. On cogitait : “to take risks, or not to take risks…” On savait plus quoi dire, mais on se connait à fond, ça nous gênait pas.

Nous en profitâmes pour jeter un oeil à la carte des desserts. Comme les portions précédentes étaient pas balaises et qu’on tuait tous les deux nos excès de manque dans des foulées joggées ou des crawls à n’en plus finir, on s’est dit allez, on sait pas pourquoi, mais y’a une grande conclusion en germe dans ce dîner, c’est la fête. Et une forêt-noire, et une tarte au chocolat fondant aux framboises et deux coupes de champagne et puis merde!

Après ça, on se sentait beaucoup mieux. C’est immanquable. Une connivence réciproque avec un pote, le soir d’été parisien, l’alcool, ça fait relativiser.

On était même pas loin de penser à rien du tout, on était vraiment bien. On avait vingt ans, éternels

À le voir de nouveau lui-même, détendu comme ça, j’ai cru qu’il m’avait complètement bluffé avec son histoire cornélienne, pour passer le temps, nous faire penser.

“Donc au fait, t’as plus l’air trop ulcéré quand même, c’est pas si sérieux, je lui lance.

– Sérieux? Sérieux c’est parfois quand tu le veux le moins que ça le devient.

-Je veux dire, vous avez échangé un peu, genre conversation profonde comme toute à l’heure?

-Bien pire. Tu veux savoir comment tout a dérapé?

-…

-Ben je lui ai demandé… tu sais un peu comme Jean Seberg dans À Bout de Souffle :

“ Madeleine, (en réalité elle s’appelle Madeleine), quel est ton plus grand bonheur dans la vie”?

Elle a réfléchi quelques secondes. J’ajustais ma matière grise pour parer à un truc très ardu… et elle a déclamé alors très très objectivement : “ mon plus grand bonheur dans la vie… c’est de pas mettre de soutif “. J’ai rigolé, et répondu, normal : “Comme moi”, mais elle a rajouté avec malice “ et aussi de pas avoir de pénis”…

Et voilà, c’est là que tout a commencé à devenir… sérieux. “

(SEMI-JOKE)

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Illustrations : Image d’en-tête Joan Miro, « Sensitive to the  world », Sensible au Monde

Image de conclusion : Picasso, le baiser.