P.

Philippe?

Non.

Paul?

Non.

Pascal?

Non.

Patrocle?

Non!

Une lettre pudique, comme on désigne un secret.

Un amoureux?

Presque.

P.

Une citation introuvable d’Arletty dans les Enfants… Revoir tout le film pour extraire ces courts instants où elle revient « des Indes »… lointaines, trop lointaines…

Patati.

Patata…

? « Mais… »…

Quoi?

« Mais je n’aime que Paris ».

Exagéré, et vrai.

L’héroïne inventée par Prévert et qu’il fait naître à Ménilmontant, petites villes dans la grande,  ville des lumières, faite des toutes petites.

Retour de vide, vacant, alias vacances, désertion, exil. On était loin. Longtemps.

Pourquoi?

Retrouvailles: P.

Tous les parisiens n’éprouveront pas le même sentiment qui va au delà d’un  doux back home sweet home, et par delà le souvenir d’une chambre d’hôtel dans un palace, d’un coin de tente dans une pinède avec un amour d’été…

Bien au delà du flirt.

P.

Bien au delà.

Il y a du magnétisme dans l’air. On ne sait pas pourquoi.

Ce qui fait un vrai parisien, ce n’est pas le nombre d’années, ou même d’y être né.

Ce n’est pas le « je la connais comme si je l’avais fait » des vieux habitués un peu blasés.

Non.

C’est de la magie inusable.

Magie inusable.

Réactivée subitement par quelques semaines de séparation.

*

Ciel qui vous fait un clin d’oeil, comme aucun autre.

Grand courant d’air sur la Seine, feuilles d’érable, un rien de poussière, essences.

Lune rousse au dessus d’un immeuble de banlieue, découpages chaotiques balayés par un faisceau de Tour Eiffel.

Pavés. Avenues. Haussmann.

Réminiscences d’autres retours, d’autres retrouvailles, temps passés ensemble.

P. comme le giron d’une mère, un somme, à trois ans. P comme père, voix puissante,  attachement insondable.

P. gobée à travers les yeux qui nous fait oublier qui nous sommes, nos couleurs de toutes les couleurs.

P. qui dans l’amour qu’on lui porte, nous rend égaux entre nous, ses amoureux, ses amoureuses, même pas jaloux, bons partageurs qu’un regard de connivence relie même: elle t’a manqué à toi aussi?

P. qui se donne à tous, un peu sainte pute, mais unique et exclusive et différente pour chacun.

P. à l’aurore,  ou P. sous la pluie quand personne n’ose sortir et qui nous donne le sentiment de s’offrir à soi-même, d’être unique devant elle comme elle l’est devant nous.

P, un tableau et un cadre, qui peint et qui enserre en elle-même des histoires, un visage, un rêve d’enfance, une liberté qui s’ouvre, à vingt ans pour toujours.

P. qui recèle en elle un secret, une ombre, celle de Baptiste déguisé en Pierrot, un amour caché et déguisé, un clown triste que tout le monde connaît mais que personne ne voit tel qu’il est.

P. Un mystère pour initiés, qui demande du temps, de la fidélité pour ensuite revenir à elle, la comprendre, lui prouver… la voir enfin.

Celle qui échappe aux touristes, aux gens de passages avides d’y retrouver un cliché.

Quelque chose de vraiment impalpable et pourtant d’indubitable, de très constant sous les changements permanents de ses nuages…

Bizarre, P.

Comme Port, ancrage  déjà surchargée d’encrage de mots d’amour faciles sur les bancs, les murs, les affiches de films. Faciles.

Passion tranquille et

Paradoxale: légère et

Profonde, luxueuse et

Populaire

Philosophe, amour intellectuel, romantique, littéraire et néanmoins si

Physique, aux tripes qu’elle noue dans son sourire irrésistible d’ardoise bleue et grise

Vieille et si fraîche sous ses brumes blanches de fleuve et de pollution

P. où les dés se lancent où la vie se joue et où tout le monde se rencontre car

Paris est toute petite pour ceux qui… etc. etc. Idem, Pierre Brasseur.

Pourquoi?

Même au matin, pas rasée.

Suffisant de la quitter (bras doux de Madrid, Rome, évidemment, New-York…)

Pour la voir autrement, et la regretter: l’envie d’exil n’était pas à cause d’elle, mais de soi.

Pourquoi?

Une humeur océane difficile à suivre.

Mais même sans parfum, même le front ombrageux des mauvais cumulus pas près à se dissiper –  soudain son éclat de tonnerre comme un rire  d’homme trop sérieux: soleil.

Des airs de snob parfois hautains, mais au fond invétéré Titi.

Dans le trop froid ou le trop chaud, P. qui pousse à la plainte, à l’injure: « tu fais chier, y’en a marre! »

P. Pardon. Peur de t’avoir blessé, blessée.

Peur de ta gravitation qui nous ferait pour toujours renoncer aux sirènes des champs verts et d’un air plus pur, plus simple… qui sait?

P. Pulsation. Cardiaque.

Pourquoi, pourquoi? Sans raison au fond, comme toujours dans ces cas là, dans ces coups de coeur, lien trop fort, origines et histoire de sang presque mêlés:

« Parce que ».

 

img_9311-e1504797690885.jpg

©clrisselee Paris dans les nues/ se laisse deviner/ faute de photo trop cliché, pas de pavé mouillé ni de monuments, rues connues, ni de silhouettes poétiques… comme si l’atmosphère pouvait se photographier…

MIRAGE HEUREUX

J’ai cru à un mirage. Je veux dire je ne retrouvais pas la bonne image, je ne retrouvais plus du tout cette image parue dans un article du New York Times, illustratrice Marion Fayolle, titre « WHY YOU WILL MARRY THE WRONG PERSON ». Pourquoi vous vous marierez avec la mauvaise personne, en clair et en français.

Aucun intérêt pour le fond, seul le dessin (doux et poétique, Little Nemo en robe blanche, parfait) m’a attirée.

Mais j’ai cru à un mirage, l’article et surtout son illustration avait soudain disparu de la première page du journal, comme par magie.

Comme par mariage qui s’évapore comme un mirage, anagramme parfait.

« T’y crois toi, au mirage? Je veux dire, I mean, l’institution du mirage, la bague au doigt sur une nappe d’eau imaginaire en plein Sahel… ? »

Comme les mirages, le mariage n’est qu’une croyance, qu’un mot, de l’eau… sur des joues roses devant un prêtre, sur des joues pâles devant un psy quand le mirage ne s’est pas réalisé comme on voudrait, comme on y croyait tant pourtant. Ou pire: comme on y croyait plus.

Les mirages se dissipent comme les mariages passent quand d’autres persistent, ou résistent.

RESISTE!! Styles: pop, rock’n roll ou classique.

A chacun son mariage, à chacun sa musique. Eclectisme s’abstenir, constance oblige conformité au dogme, transgression menace… de n’en faire qu’un mirage à contourner, pour s’amuser, ou pour se libérer de l’emprise du mariage flou comme un mirage: danger.

Mariage pour essayer, mariage sans regret une fois balayé d’un petit coup de divorce: Amitié.

Mariage entre adultes consentants: responsabilité. Mariage= enfants, après mariage d’enfants, tout minots, et ça roule comme le 4×4 sur un sable fin et dur, direction: mirage parfait.

Il n’y a rien à dire, c’est donc bien un mirage, un mot.

Ou seulement bien se marier, comme des couleurs à contempler. Alors être marié: être surtout miré, reflets de son propre mirage, se mirer dans les yeux de l’autre. Vrai mariage, nature, qui fait voir des mirages, la vue se trouble sous le coup de chaud, soleil aveuglant — tu brûles.

Mirage, mon beau mirage, qui n’a pas besoin de mariage pour qu’on y croit, mirage réel et stupéfiant qui devient tout à coup vraiment de l’eau, fraîche, que l’on boit sans se désaltérer jamais totalement. Dingue.

Mirage libre, tranquille comme un lac d’argent, immense miroir inconnu des cartographies sociales et où passe seulement de temps en temps: le reflet d’un petit avion sauvage…

« Est-elle brune, blonde ou rousse? »

Quelques effervescences littéraires, en clin d’oeil au sympa projet d’une bière au nom de roi mage, même si l’on est né(e) dans d’autres mousses (champenoises), connivence de fermentation oblige:

https://fr.ulule.com/micro-brasserie-balthazar/

Fem-balthazard

« C’est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu’un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir…
Mais la première gorgée! Gorgée? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d’amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit: la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini… En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l’éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d’attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s’échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l’on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l’or pur, et l’enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C’est un bonheur amer: on boit pour oublier la première gorgée.

Delerm, Philippe. La première gorgée de bière. Paris: Gallimard, 1997, pages 31-32. »