FAR OUEST

Il était une fois, dans un certain Ouest, il y a très longtemps, des images de chaps très amples sur de grandes jambes, sans doute celles de John Wayne. Une chanson d’Eddie Mitchell, et d’ailleurs,  le dit Eddie en personne installé dans une salle de cinéma, tout seul.

Ce sont des souvenirs, presque de la nostalgie… et puis finalement, non, pas de nostalgie.

On pourrait parler de la douleur de la disparition: comme s’apercevoir de photos ou de montages un peu puérils effacés par mégarde d’un blog encore imparfaitement maîtrisé. On pourrait en ressentir un petit pic au coeur: un vase de grand-mère se brise. Voilà. C’était comme ça, c’est irrécupérable. On a pas fait de sauvegarde, et de toute façon, la sauvegarde éternelle n’existe pas.

Bon. Finalement les chansons d’Eddie Mitchell sont un peu tristes comme un vieux chewing-gum remâché longtemps après avoir perdu son goût. On insiste: ça ne sert à rien. La Fille Menthe à l’Eau à l’instar de la Dernière Séance donne un jour envie de zapper, d’employer un mot exprès, qui ne se disait pas en 1987, passer à autre chose:

Le Présent.

Donc l’Avenir, la vie, le flux.

Mais malgré tout, les films de Cow-Boys et d’Indiens du mardi soir nous rattrapent: on échappe pas au clins d’oeil du Hasard.

Comme sous une vieille couche de papier peint déjà ancien on en redécouvre une autre, plus originelle, vintage, presque précieuse, voilà la façade surgie derrière la devanture en démolition du cinéma Pasquier, 44 rue Pasquier, M° Saint Lazare, Paris:

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On pourrait écrire un tas de choses un peu poussiéreuses et grise comme cette image. Un soir de février 2012 où le chauffage ne marchant plus, il y eut une dernière séance sur le film de Patricia Mazuy, Sport de Filles, où le froid glacial forçait les spectateurs à garder leur blousons, parfait pour un film d’équitation, « comme si on y était », en extérieur, se pelant de froid comme toujours au bord d’une carrière où tourne un cheval. Dernière image, on reste là dessus, ironie du sort et lien subtil.

Un film un peu à l’ouest, vrai et brut sur les chevaux comme ultime expérience d’une salle qui nous ramène ainsi au rideau qui tombe de la chanson d’Eddie, aux cinémas qui disparaissent, et celui-là, s’appelait en réalité, on le découvre au moment de sa fermeture emblématique: le Far West.

« Drôle », donc pas tout à fait triste, quand même.

Σ

Il y a d’autres Far West qui ne se ferment pas. A l’intérieur. Qui ne se fermeront pas comme des pas de danse de côté, des petites folies et des sursauts pour faire différent, complètement à l’Ouest, frais. Les grands Ouest mythifiés depuis le début,  Sergio Leone, les couleurs vives du vrai ciel bleu, et même les noirs et blancs encore plus intacts, My Darling Clementine, John Ford, la désinvolture cavalière et calme d’Henri Fonda…

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Pleins de rêves barrés très à l’Ouest, grande lumière, pas de regard en arrière, tant pis si un fichier remplace une projo sur écran du Pasquier, c’est le cours des choses. L’essentiel: qu’un ado de 14 ans visionne en 2017 sur son mur de chambre ou son écran Mac les contrastes violents et que leur fraîcheur atemporelle le fascine, le charme, l’envoûte.

S’il faut disparaître pour renaître,  se transformer pour évoluer mais pour rester, alors, rien ne mourra— surtout pas le Far West.

Ω

Ailleurs… quelque part aussi très à l’Ouest, d’autres pas de danse courent sur des planches au clairs de lune breton, des baskets aux pieds, des piercings au lèvres, ou des robes à fleurs, ou des galoches d’antan… parfums de plages et de crèpes, et de bouses et de brumes, de bruines et de soleil, d’air iodé et chaud sur les plages finistériennes aux  eaux de caraïbes…

A chacun son grand ouest, son  Fest Noz breton, ses rêves cinématographiques qui n’ont même pas besoin de « résister » puisque leur charme profond attirent la vie et la jeunesse, aujourd’hui, demain, vers eux, tranquillement…

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©clrisselee

 

 

 

LA CÉLÉBRITÉ

 

 

 

HOMMAGE.

« La célébrité, la publicité
Photographiée ou interviewée
Mais quel effet cela vous fait?

Moi, j’aime faire du cinéma
Bien isolée dans les lumières
Le monde alors n’existe pas
Je m’abandonne toute entière

La célébrité, la publicité
Photographiée ou interviewée
Mais quel effet cela vous fait?

J’aime courir dans le jardin
Et respirer la marjolaine
Mâcher les brins de romarin
Cueillir un bouquet de verveine

La célébrité, la publicité
Photographiée ou interviewée
Mais quel effet cela vous fait?

J’aime être seule dans ma cuisine
À éplucher des petits pois,
Des carottes, des aubergines
Tu parles au chien, j’entends ta voix

La célébrité, la publicité
Photographiée ou interviewée
Mais quel effet cela vous fait?

Je n’aime pas dormir sans toi
J’ai besoin de tous les coussins
Je les arrange autour de moi
Je dors très mal jusqu’au matin

La célébrité, la publicité
Photographiée ou interviewée
Mais quel effet cela vous fait?

Ça peut faire plaisir quelquefois
Ça s’oublie avec le chagrin
Ça ne m’impose pas sa loi
Ça n’assouvit jamais la faim
Ça ne tient pas chaud quand j’ai froid
Ça ne me tient pas compagnie
Ça ne m’embrasse pas les doigts
Ça ne remplace pas ta vie
Ça ne remplace pas ta vie

Paroles: Jeanne Moreau.

 

TOURBILLON

 

 

« … ROUGE »

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Ou plus exactement vermillon, la carapace de la tortue crée par le réalisateur belge Michaël Dudok de Wit et le japonais Isao Takahata.

Vermillon  pour trancher avec éclat sur tous les bleus ( de l’azur, turquoise à l’opalin) des eaux translucides de l’Océan Indien.

C’est l’histoire du naufrage d’un homme et d’une vie; le film commence par le naufrage  et dépeint plus qu’il ne narre sa vie: car aucun mot, seuls des cris, des silences, et surtout des images  au graphisme changeant, aux palettes chromatiques mouvantes comme le ciel tropical, au grain évoluant de la finesse d’un galet aux rugosités d’un grès rose, à la douceur d’une peau.

C’est encore la solitude d’une île et d’un homme face aux éléments, dans la beauté poétique des ciels étoilés, le soleil accablant reflèté par le sable, ou toutes les nuances des ombres  couvrant la terre selon les différents nuages. Ode du cinéma d’animation aux éléments.

Cet homme dont on ne saura jamais le nom, ni d’où il vient,  représente aussi d’une manière nouvelle la question de la condition humaine sous le thème qu’on pourrait pourtant penser rebattu de l’homme naufragé.

Car, si comme d’autres avant lui, cet homme échoue, son île ne ressemble pas tant aux habituels  clichés.

Vierge,  elle est étrange pas son côté tantôt inquétant, hostile et en même temps radieux, mystérieux avec ses amas de blocs rocheux impeccables comme un clin d’oeil breton. Aussi, peu à peu, l’insolite prend le pas sur l’aventure et par des touches qui surprennent tout en finesse, on bascule dans le conte et l’onirisme.

Alors « chut! ». Il ne faut surtout pas dire pourquoi l’homme ne cherchera plus à quitter son île, et il faut oublier l’affiche de présentation, ne surtout pas la regarder pour mieux jouir des subtils effets de surprise qui jalonnent le film.

Bien sûr, il est question d’une tortue rouge, et on l’attend, elle viendra vite d’ailleurs et l’on suppose d’avance que c’est elle l’élément central. Rouge, donc différente, réelle vraiment? C’est elle qui ouvre les portes du rêve, ne serait-ce déjà que par sa présence, mais il faudrait ne pas en dire plus…

Rouge comme… ce qui fait battre le coeur, on échappe tout de même pas au symbole, classique. Mais rouge  intriguant, qui se reflètera dans une chevelure, ce mot « rouge » de la même manière qu’il apparaît dans une autre oeuvre pour enfants mais qui ne l’est pas, celle de Steinbeck, « Le Poney Rouge ».

Il s’agit donc un peu d’une déclinaison sur le rouge, d’abord violent, d’abord la rage contre un être qui se pose en obstacle à l’envie d’évasion: la tortue, on s’en doute avant que de le savoir, c’est elle qui détruit tous les radeaux de bambous, résistance totale, lente et têtue comme ce monstre marin, exaspérante. Alors l’homme se fâche et sa rencontre avec l’Autre, le rouge est d’abord un combat, une haine qui laissera éclore son contraire.  Et une mise à mort engendrera une autre vie qui s’évanouira comme elle sera venue, comme un songe heureux, dans un dépouillement total qui dévoile l’Essentiel.

NO WOMAN’s (vocal) ZONE

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Comme tous les films dont le titre intraduisible de l’anglais donne des démangeaisons de traduction, on pourrait dire:

« La chanson du pays de nulle part »

« Chant sans pays »

« Chanson du non-pays »

ou encore:

« La chanson n’a pas de pays ».

Mais le titre comme le film ont été conçus par des iraniens dont l’anglais est sans doute plus instinctif que celui des francophones. Alors on pourrait imaginer plutôt que le très possible « Chant sans frontière » un clin d’oeil à l’expression, No Man’s Zone, sauf qu’il est ici question de femme.

Le Chant, en Iran: No Woman’s Zone. Zone sans Femmes.

Attention.

Comme tous les films documentaires, ou beaucoup, qui traitent d’un pays à travers son chant, son âme perdue, il y a ici quelques points communs du genre avec un Buena Vista, pour Cuba, et plus récemment El Gusto pour l’Algérie. Sauf qu’ici, la nostalgie n’a pas pour objet un style musical oublié, Son ou Chaâbi. Ce ne sont pas des accords du passé dont on fait renaître la beauté, pas seulement. Dans No Land’s Song, les instruments interdits dont il est question n’ont jamais cessé d’exister ni de vibrer en Iran, mais sous une forme étouffée, comme les libertés: les corde vocales féminines.

Mais l’intérêt du documentaire est dans l’émotion qu’il sucite, de manière bouleversante, inattendue, par la puissance du cri de révolte musical. Il ne faut pas aller le voir parce que la couleur de l’affiche est la même que celle de l’écharpe de Mélanchon, ou de Jacques Weber, ou de la vôtre, monsieur au rang devant moi, chapeau de feutre et cheveux gris en désorde soigné rive gauche, qui n’avez pas pleuré.

Donc c’est un film sur lequel il n’est pas besoin de tartiner. La jeune auteure iranienne initiatrice du projet trop souvent, naturellement, au premier plan, la découverte étonnée, mais compréhensible, des artistes français collaborant au projet sur la censure, les revers administratifs etc. Ces mêmes musiciens, les français, si talentueux et fins, Jeanne Cherhal, Elise Caron, qui sauront accorder leur voix dans un unisson de partage et de collaboration. Bon. Le voile levé sur l’étonnante transversalité musicale, et l’ouverture: les sons du batteur assez fou et génial, mais qui manque de se débiner, comme Caron, devant les vetos durs à lever. Davantage de combativité musicale que diplomatique en l’occurence.

Comme souvent également dans ce type de documentaire, mais ici plus que dans tout autre, l’émotion surgit à la croisée entre l’expression d’une révolte par delà le politique, et le beauté ancêstrale du chant. Bien au-delà encore de la coopération binationale, et nécessaire au bouclage du budget, qui laisse entrer dans le film quelques scènes inévitablement bien pensantes et naïves, du type: Jeanne Cherhal, lunette noire, très parisienne bobo malgré tout son talent, ne cèdant pas à un cliché dans un échange, à Paris, avec Sara Najafi:  » je réalise à quel point j’ai de la chance ». De se produire, de ne pas subir de discrimination ou d’interdicion de chanter en tant que femme. Etc. Bien entendu − l’artiste française l’aurait elle tu par politesse?− la chance n’est pas de  notre côté, mais la malchance du leur. Ou encore, plutôt qu’une question de « chance » une question de droit, politique et naturel pour le coup.

 Non. Ce n’est pas pour tout ça qu’il faut ou pas aller voir  et surtout écouter No Land’s Song… Alors quoi?

Ce n’est donc pas un film comme les autres du même genre car en final, c’est un film qui inonde. Et,pour le pire ou le meilleur: on ne sait pas trop pourquoi. Pourquoi, réellement, non pas vraiment, mais on sait, on sent.

Pour quelqu’un, quelqu’une: la voix bien précise, bien supérieure d’une chanteuse iranienne, Parvin Namazi, qui est là, une chanteuse connue, qui participe d’abord de manière subtile aux échanges, femme la plus agée de toutes, mais dont la voix vous coupe le souffle dès qu’elle surgit, du tout début à la fin.

Cette inondation est-elle justifiée? N’est-elle pas subjective? Est-ce vraiment elle, ces quelques minutes qui donne sa saveur au tout? A-t-on raison ou pas, n’est-on pas fou de fondre en larme comme ça en l’entendant?

Je ne sais pas. Mais juste une scène  peut-être… L’esquisser n’ôtera pas l’envie de la voir en vrai. Il s’agit d’un moment extrêmement intimiste, presque impudique qu’ils ont décidé de garder au montage. Un bout d’essai, de répétition en aparté entre le jeune guitariste Sébastien Hoog et cette chanteuse qui pourrait être sa mère. Au bout de quelques secondes le type (hyper talentueux, qui a dû en entendre d’autres…) ne peut plus jouer. Il se contient, il retente, mais rien à faire: dès qu’elle chante il pleure. On le sent lui même stupéfait de cette émotion; n’en pouvant plus, il sort du plan.

Et on sort de la salle comme lui, avec l’envie étrange d’éclater en sanglots de joie, de révolte … d’Enchantement ou de peine aussi. On ne comprend pas tout, et c’est ça qui est beau et qui vous prend: le bouleversement d’une voix a capella, d’une femme qui l’ouvre, majestueusement.