il n’y a pas très longtemps, Pierre Soulages avait cent ans. Son épouse aussi, c’était écrit dans le journal, qui, dans l’écran noir de la vitre double vitrage, se reflétait. C’était un moment de bonheur du réconfort après l’effort.
Jade allait rejoindre un ami, après une trépidante journée de travail, un ami près de la frontière allemande, un ami peintre. Elle savait pourtant qu’être peintre ne garantit ni l’amour à vie, ni la longévité. Néanmoins, elle avait aimé ce moment plein d’espoir tranquille, au moins dans l’accomplissement des rêves à court terme.
A la croisée d’un titre de Marguerite Yourcenar et de celui d’une chanson de Laurent Voulzy, j’ai pensé à l’homme si grand au nom qu’il porta peut-être au début comme un défi à accomplir, et finalement, le réalisa.
Il faut être fou pour être peintre. Obsessionnellement peintre. Puisqu’un jour de ses sept ans, un petit garçon pour représenter de la neige « pris du noir », tout le reste n’est qu’une suite logique. Une logique en apparence parfaitement maîtresse de sa folie, comme le chaos géométrique des grandes solives noires barrant la toile.
Pierre se soulagea-t-il? De cette chose noire cachée encore derrière la lumière cachée derrière le noir? Ou le ciel?
Si la lumière est belle, c’est toujours à travers le poids du noir, encore plus incroyable comme la vie à travers la mort.
L’oeil est invité à se frayer un passage dans des voiles ou des enchevêtrements comme par dessous une cabane de branches ou un bucher, regarder dehors, sortir, et le passage devient beau, c’est le reflief du chemin de la vie entre le noir et le blanc, et vice versa.
Couleurs élémentaires et éternelles, noir, blanc, bleu et terre minérale, hors du vivant.
Soulagement?
Oui et non, assurément. A chaque oeuvre, à chaque nécessité d’une nouvelle oeuvre. Mécanique de toute création un peu thérapeutique. Même si son noir était lumineux, comme aurait dit un prophane bien franc du collier « ce n’était pas gai » non plus.
La beauté, sans doute la vraie beauté grave, ne rit pas aux éclats. Le regard de Soulages ne riait pas aux éclats.
Quelle était cette chose derrière la chose?
Sans faire de trop grande métaphore psychanalytique: en 1926, à sept ans, on apprend dans sa biographie qu’il perd son père.
Que par la suite sa mère et sa soeur qui l’élèveront garderont le deuil, ce qui signifie à cet époque, « être en noir », pour toujours.
Image d’en-tête: « 3 Mai 1962 », Pierre Soulages, huile sur toile, Detroit Museum of Art
Image de fin: « Bouquet » quai de l’Ourcq, 26 octobre 2022
(et autres histoires du cœur) » à paraître prochainement aux éditions D’Après le Désastre.
CRUMBLE
C’était l’âge idéal. J’étais bien placée pour le savoir, pile en face.
Maria avait de grands yeux outremer, et des boucles brunes châtain qui dansaient dans la moindre brise comme des ressorts de soie. Il faisait un soleil… un de ces soleils qui sèchent toutes les eaux stagnantes, les moindres moisissures, arrêtent les larmes dans leur chute vertigineuse sur la joue amaigrie : là.
Dans l’air doux ne bougeant pas d’un poil, les boucles frémissaient, parcourues par un drôle de petit courant électrique, un tremblement léger, et le regard était baissé de sorte qu’on ne voyait que deux rangées de longs cils noirs d’enfant, le mascara ne tenant plus la route depuis des jours.
15, précisément.
L’âge idéal. Mais je me gardais bien de le lui dire, il faut laisser du temps à l’humour rose et noir. Pourtant quelques temps auparavant, une femme m’avait marquée. Assise sur un strapontin dans ce RER aérien que je ne prenais qu’exceptionnellement lors des pèlerinages sur les lieux de l’enfance. Elle, les cheveux blonds et raides, la quarantaine classe, branchée, fine. Je me trompe peut-être, l’hypothèse ne peut être exclue, mais ses larmes n’étaient ni celle de l’annonce d’une grave maladie, ni d’un deuil. Un instinct indubitable, ou en réalité une prescience magique à laquelle on ne peut rien me disait avec 0,01% de marge d’erreur qu’elle venait d’être quittée. Par une si belle journée.
Et elle, la femme du Rer A, provenance de Saint Germain en Laye, n’avait, aurais-je pu le dire à Maria ? Pas du tout l’âge idéal. On voyait bien qu’elle se faisait prendre à revers par la vie, tout était en désordre, comme ses cheveux délavés, rock’n roll, trop secs, une fragilité presque inconvenante.
Oui. C’est dur. Mais l’amour est comme la varicelle. Tout le monde le sait, il FAUT l’attraper le plus tôt possible, ensuite tout ira bien, effet vaccin, cicatrices moins apparentes, voire invisibles, symptômes moins dramatiques. Parlant ici, restons clairs, de la varicelle amoureuse, c’est-à-dire de l’amour sous son aspect nauséeux, au fond un pastiche de lui-même. Différent de l’autre comme le rose aux joues d’une montée de pustules.
Quelles paroles ? Quels mots audibles pour ces deux êtres féminins vivant à vingt ans de distance le même, exactement le même chagrin ? Un chagrin stupide, littéralement « pris de stupeur », arrêté dans son élan naïf et confiant en l’autre. « Je ne t’aime plus, je ne t’aime pas, je ne t’ai jamais aimée… » ou pire. Silence radio. Incapacité langagière de l’être masculin pris en flagrant délit d’infériorité humaine.
Bon.
Dans ces conditions, sortir le grand jeu, celui de Blaise Pascal revisité, espérer faire mouche, produire un déclic ?
« Si tu perds, tu ne perds rien. Si tu gagnes, tu gagnes tout. »
Enfin, Maria, si intelligente, amoureuse de l’art autant que des mathématiques, ce petit génie de grâce, d’humilité, de force et de beauté, tout de même, ce raisonnement de Blaise, c’est une nécessité logique appliquée au désastre fictif de ton amour qui n’est PAS perdu… puisque… c’est comme Dieu. Ce que tu crois perdre n’existait pas. Ce qui Existe, vraiment, ne se laisse pas perdre= IL ne t’aimait pas, puisqu’il accepte de te perdre, donc toi tu ne le perds pas, tu ne perds pas un amour, tu perds un type qui ne t’aimait pas. Donc= tu ne perds RIEN.
Pourquoi les larmes alors ? Elle le sait bien. Elle aurait voulu, tellement voulu. Que les contours du visage de Bob correspondent exactement à ceux de l’homme de sa vie. Quitte à tricher. A enfoncer la pièce du puzzle avec force, aveugle à cet onglet qui ne colle pas. Maria, dans une vision, un bandeau sur l’œil droit depuis des mois, sans le sentir.
Enfin…
Le crumble est un dessert d’inspiration parfaitement anglo-saxonne.
Un jour, la cuisinière de la comtesse de Winchester rata sa « pie », qui n’est pas une tarte d’aujourd’hui, mais une tourte. Pâte au-dessus. Fruits en dessous. Une apple-pie, tarte aux pommes avec force vanille et cannelle venues des Indes. Parfum embaumant jusque dans les salles d’eau du palais. Douceur maternelle, monde prénatal et paradisiaque annoncé dans ces effluves, le tablier ressuscité d’une Granny éternelle.
Mais ce jour-là : trop de beurre, trop de cuisson, trop de farine de blé, trop épaisse, voilà que la croûte se brise. Crevasse, un tremblement de terre.
Que faire ?
Pleurer ?
Les anglo-saxons ou, dira-t-on aujourd’hui (an de grâce 2022) le substrat culturel hérité des peuples des îles britanniques entre les VIIIème et le XXème siècles, les anglo-saxons donc, pour des raisons principalement météorologiques, le fait de vivre sous un climat assez hostile, pour ne pas dire pourri, ont su faire contre-mauvaise-fortune/bon cœur, et même génie moral : l’invention de l’humour. De l’ironie.
Une cuisinière française ou italienne n’aurait jamais inventé un nouveau dessert. Elle aurait jeté les miettes aux enfants, aux chiens, ou se les serait picoré en loucedé, elle aurait recommencé sa tarte en vitesse, ou aurait couru chez le pâtissier au coin du palais de Winchester, en l’occurrence de Nemours ou de Parme, et la Comtesse n’y aurait vu que du feu.
Mais les anglo-saxons ont encore d’autres qualités, et leur sens de l’humour n’est peut-être pas si étranger à celui de l’ économie, pour ne pas anticiper, capitaliste (l’histoire ci-contée se situe avant Adam Smith). La cuisinière de la Comtesse Pourrait courir chez le pâtissier du coin, mais : dépense inutile, après tout, les bons ingrédients utilisés étaient tous de première qualité, pourquoi l’esthétique empêcherait-elle le comestible ?
Partant alors d’un grand éclat de rire tout jovial devant son dessert manqué, la cuisinière attend qu’il refroidisse un peu. Puis : elle soulève le dessus de la pâte crevée à l’aide d’une grande spatule en bois. Elle la reverse dans un bol de terre bien propre et de ces doigts blancs et potelés, l’effrite en grossiers grumeaux… qu’elle parsème de cassonade. Reprenant de même les quartiers de pommes, elle les remue n’importe comment d’une longue cuillère en bois, rajoute un peu de cannelle et de miel blond. La suite fait partie des annales de l’histoire culinaire : après avoir reversé tout son bol de gravats sucrés sur les pommes, elle remet le tout au four, mode grill, 7m, après avoir négligemment laissé tomber quelques copeaux de beurre sur la pâte bouleversée.
Pendant ce temps… 7 min, dans une petite terrine, elle prépare une crème fraîche qu’il ne faut pas trop fouetter, au risque d’inventer la Chantilly avant l’heure et ne rien laisser aux français ( que des miettes attendons la fin.)
Ce conte a lieu en hiver. L’époque et la saison sont aux antipodes de Maria, mais pas sans point commun (ni solution). Il a neigé sur l’Angleterre, loin de ce pays la prémonition d’un réchauffement climatique cinq siècles plus tard…La petite terrine de crème fraîche est placée dans un grand plat de flocons immaculés.
On y est presque. Apparaît un bol de china émaillé aux dessins bleus imitation de Delphes, y glisse une grosse part de cette chose sortie fumante et délicieusement odorante du four, et dessus, floc, devant les yeux de la jeune comtesse (25 ans) à la fois médusée et curieuse : une grosse louchée de crème onctueuse, presque glacée.
Chaud-froid qui réveille. Savoureux. Une gorgée de thé ambré par-dessus, onguent dans ce jeune estomac à vide, martyrisé : la comtesse revit, et demande d’une petite voix qui n’a pas souri depuis longtemps, le nom de ce nouveau dessert ?
« Pie Effondrée »
Comme vous My Lady, se retient d’ajouter la cuisinière… c’est-à-dire, en se rajustant la langue de Shakespeare :
« CRUMBLE ».
La comtesse parfaitement francophone aurait suggéré après un temps de méditation « Un mal pour un bien », mais l’ironie aurait été perdue, et avec elle, l’autodérision, cette sagesse particulière qui finit toujours
par rire, et même danser
sous la pluie… plus tard, au temps de l’amour—
du véritable amour,
retrouvé.
(Image d’en-tête issue du blog culinaire irlandais
Improvisation sur un petit poème, l’éternité d’Arthur R, nécessité des convalescences.
Image d’en-tête: le parc Vellefaux de l’hôpital Saint-Louis.
Roses. Un textes sur le os et les corps décharnés qui ressuscitent, Bible ouverte, les oiseaux chantent dans la chapelle renaissance, décrépie, et belle pour cela.
Le son est coupé depuis le Brexit et l’augmentation des droits WordPress du blog, cf facebook.
Atento: pbm sur ce fichier MP3… le son passe en intersidéral par erreur, dans ce cas télécharger sur ordinateur, mais avec casque via portable ok. Le son n’est pas à ce point mauvais ni la voix robotique 😉
A la fin de Pierrot le Fou de JL Godard. Dans le son des vagues, la voix d’Arthur Rimbaud.
« Elle est retrouvée, quoi? L’Eternité. C’est la mer allée, avec le soleil ».
Des années lumière après, au-delà, on s’interrogera sur ces mots hallucinés du jeune poète. Sans fin. Qu’est-ce que ça veut dire?
Tout au long de la vie, on y repense, on croit comprendre, saisir, peut-être.
Fusion totale des choses, captation d’une réalité supérieure ou le cosmique et notre matérialité la plus évidente se font écho. La fusion: la mort. L’effusion: l’amour. L’éternité: le soleil, la lumière, la beauté, ce qui engendre, ce qui rapproche, ce qui crée, procrée. Un grand mélange explosif, naturel, radieux.
Il n’y a rien à craindre, il y a tout à savourer, le moment est bref, unique, la seconde éternelle, celle du baiser encore dans le Parc Monsouris, de Prévert. Il n’y a rien à comprendre, tout à faire, aucune peur, même pas de celle de fous très à l’Est qui oublient la lumière et notre chance d’exister. Contre lui, la réponse (un peu bête car il n’y en pas d’autre) de toujours:
Ce matin-là, même les oiseaux n’étaient pas nombreux à désirer se réveiller.
La lune au-dessus de la mosquée, comme un point sur un i, dans le ciel pur de l’aube. Le parfum du désert, de la mer non loin.
Frédéric, dans une simple chemise de lin blanc et un pantalon bouffant noir moiré, s’était assis sur le banc de la terrasse– la fraîcheur du bois dense, la tasse de thé parfumé qu’il s’était fait servir. Le silence absolu du monde le mis à l’écoute de ces quelques chants d’oiseaux qui comme lui, avait décidé de profiter de la vie au plus tôt.
Il pensa au sultan Al-Kâmil, qui malgré toute sa sagesse devait paresser encore jusqu’à midi dans un de ses lits trop mous, près de femmes trop grasses à force de nonchalance et d’amour absent. Frédéric II empereur d’occident, décida d’oublier Al-Kâmil. A même le sol dallé, à sa droite, étaient posés dans la même attente que sa tasse de porcelaine, une édition illustrée du Coran en arabe, une autre de la Bible en grec. A sa gauche sur un guéridon marqueté d’ivoire, des papiers fin de Bagdad.
Le tout sagement en attente. Dans le deux livres saints, il continuerait avec délectation son étude de l’arabe et de la poésie sainte. Sur les parchemins, il savait que sa main écrirait des lettres. Pour une femme sans doute qui ne saurait pas les lire, il n’avait pas l’intention de les lui envoyer. Comme le fait de prendre plaisir à lire les textes anciens ne signifiait pas nécessairement la foi.
Au fond de lui, sûrement croyait-il, sûrement aimait-il, du plus profond de son âme d’humain. Ou seulement avait-il envie de croire et d’aimer, mais cette envie n’était-elle pas déjà un premier pas ineffaçable vers Dieu et vers l’amour ?
Des lambeaux de nuages roses commençaient à poindre au levant. Il ferait sa prière aux premiers échos de l’appel.
Une telle paix, une telle pureté saine du monde l’étonnait ; il n’y a pas si longtemps, pas si loin encore, des hommes s’étaient dévorés entre eux, littéralement. Telles étaient les abominations que tout un chacun, après quelques prières d’expiation au Ciel, se devait de regarder avec indifférence pour survivre, comme toutes les abominations grandes ou petites, que l’homme ne pourrait jamais s’empêcher de commettre.
Depuis combien de temps n’avait-il pas « mangé » de chair humaine ? Mordu dans un être adoré, plus tendre que le sien?
Un parfum voluptueux descendait aussi de cette lune croissante, montait des jardins et des ruelles où un boulanger commençait à faire cuire les premières galettes du matin. Il pensa à celle qui ne lirait jamais la lettre qu’il n’avait pas encore écrite, et se rappelant que le bonheur est fait d’imperfection comme certaines amours impossibles, il se rasséréna : jusque dans sa tendre amertume, l’existence de cette femme donnait une saveur particulière à ce monde terriblement beau. Et il remercia son destin.
« Keliah va Demneh », chacal essayant de repousser un lion, Perse, 1429.1er Janvier 2022-Paris.
A l’eau le champagne, à l’eau foie gras, caviar, saumon, emballages cadeaux.
A l’eau même la Badoit des fêtes. A l’eau, l’eau.
Il y a un endroit dans le monde où la nature manifeste une rage perpétuelle.
Où elle ne tolère que le courage, coule la peur.
Où rien ne peut exister que le combat et les éléments, dans leur surgissement premier.
Et seuls les oiseaux créent le silence et la douceur dans le sillage de leurs ailes. La beauté de leur vol planant, pareil au souffle créateur des origines, sur toute cette joyeuse furie qui crie sa protestation vaine, trop lointaine. A quoi bon ? Et pourtant elle hurle, elle hurle. Mais quoi ? Pendant que le contraste méditatif des oiseaux de mer nous interroge encore plus loin.
Il y a cette étendue infinie très au sud, inhumaine, minérale, froide mais splendide qui nous tire par la manche. Avons-nous tout bien regardé ? Dans les miroirs impeccables où nous essayions les tenues et maquillages plus durables encore que nos pauvres chairs éphémères, avons-nous su contempler l’horreur et les cris douloureux des vivants dont les vagues se font l’écho ?
Avons-nous su éprouver ce sentiment anachronique et anticommercial : la honte ? Ou encore (avons-nous compris que nous ne valions ni ne méritions pas plus que celui ou celle qui souffre plus que nous ?) la compassion ?
Coup de hâche sur vraie bûche. dec 2020
Par un détour sur Wikipédia où tout un chacun peut gratuitement aller s’enrichir de connaissances illimitées, on peut se rappeler que le mot lui-même « Noel » dans les langues latines, est connecté à celui de la nativité. A titre d’exemple du type mutation phonétique entre natale, naître et Noel, l’encyclopédie universelle en ligne avance le mot nager qui lui aussi sur le même processus sonore a dérivé de natare.
De nager à naître, Noel est donc lié à la naissance qui n’est jamais trop éloignée de l’eau, comme la vie.
Apprendre à naître au monde, apprendre à nager dans le zones hurlantes, rugissantes ou déferlantes du globe. Apprendre à garder la tête hors de l’eau, à croire que le soleil, lui aussi, dans la nuit des murs d’écume, va renaître.
Cette idée de renaissance aussi ancrée dans les rites ancestraux de toutes les cultures au moment du solstice d’hiver a pris, avec le Christianisme, un tour plus humain. Faudrait-il l’oublier ? Comme le prônerait un Michel Onfray, faudrait-il faire l’élision de cet héritage là au profit pur et simple d’une fête du solstice d’hiver, à grand renfort de dépenses inutiles pour se désangoisser de la nuit ?
On peut être païen, athée, mais aimer les symboles utiles et un certain visage de l’humanité. Que le christianisme ait été incompris par les chrétiens eux même depuis 2000 ans, là est une autre histoire. Que chacun des milliards de baptisés sur terre depuis tout ce temps ait bien su saisir dans son âme et dans son cœur qu’il fêtait au plus court des jours, la présence du sacré dans la fragilité, l’humilité et la pauvreté, autrement dit l’incarnation de la puissance vitale de l’univers (Dieu) dans un enfant né au sens propre et figuré, sur la paille, et de père inconnu … Evidemment on peut en douter.
Mais que cet enfant, ce bâtard mythique fils de l’infini, grâce à quelques témoins ait fait courir pendant autant de temps l’idée que Dieu était fils de la pauvreté matérielle, que le vrai royaume prenait racine dans une bergerie chauffée au souffle des bêtes et éclairée par les étoiles, à une époque où le confort de la civilisation romaine participait de la même idée de progrès que la nôtre : voilà qui était là pour scandaliser et pour pousser un grand cri tout en douceur contre les injustices et l’inversion des valeurs.
Noel devait être la fête de la naissance, ou de la renaissance de Dieu, de la Vie dans la pauvreté et le dépouillement. Dans les récits bibliques, les premiers à reconnaître ce Dieu régénéré ne sont pas les rois du monde, les rois mages de l’épiphanie, mais des types au bas de l’échelle sociale, vêtus de loques, le regard nécessairement toujours rivés sur les étoiles par nécessité de devoir dormir dessous.
Que fête-t-on ? Qu’entend-on ? Qu’hurle-t-on ?
Que, qui vénérons-nous ? Qu’aime-t-on ? Qui aime-t-on ? Qui sauvons-nous ? Qui aide-t-on ?
AUJOURD’HUI ?
Comment dit on je t’aime, autrement que par l’offrande de bien matériels, en attendant le retour du soleil ?
De quel sacrifice est-on capable par amour de l’autre, des autres, du monde ?
Le seul rappel à l’ordre, à l’ordre du cœur et du don de soi, qui restait à notre civilisation est né il y a 2000 ans, symbole, mythe, rêve, incarnation—peu importe au fond, du moment que l’on croyait à ses valeurs humaines.
Doux rêveur, diront les cyniques ou ceux qui réinventent à leur intérêt l’idée du pragmatisme. L’homme est sans doute de nature trop complexe et orgueilleux pour les rêves simples comme pour le véritable amour, la vraie beauté. On n’en finit pas de ne pas le lui pardonner, à Celui qui mettait le pardon et la pauvreté matérielle au-dessus de tout. On n’en finit pas de le crucifier, de l’oublier sous le marketing, au détriment de ce qui fait notre vraie grandeur et la beauté du monde.
Pâles reflets, Signe, dans les yeux des tout petits enfants qui préfèrent jouer avec les ficelles et les rubans—mais qui comprend ?
Le Sens du sacrifice sans espoir de bénéfice, à la lune, au soleil pour qu’il revienne, tel était l’instinct aussi des premiers âges de toutes nos sociétés.
Est-ce de notre faute ? Oui, non. Celle de tout le monde et de personne, d’un immense engrenage démentiel et autodestructeur qui glisse en escarpins insouciants, en boutons de manchette sur les ponts des Titanics où tout le monde fera la fête…
Pendant que d’autres, minoritaires, sans doute un peu fous, préféreront le calme d’une bergerie, la bonne odeur toute simple de la paille fraîche. Ceux-là seuls, sûrement, bien que loin de l’océan, l’entendront vagir ce soir.
C’était un matin d’hier. Jacques s’était levé tôt.
Etait-ce possible ?
05 :11, ces chiffres qui indiquaient le temps le remplissaient de joie. Temps mordu sur le néant. Ou seulement le bonheur de contempler le ciel encore noir et rose de l’aube au dessus de Paris.
Ce ciel et cet air pur qu’on sentait dedans aurait suffit pour le reste de l’éternité à une certaine forme de contentement. Cependant…
Etait-ce possible ? Qu’en cette saison froide, car c’était un matin d’hiver, ce chant se fasse de nouveau entendre ? Avec son parfum d’amande et de bourgeons. Tant d’espoirs et de souvenirs étaient morts, de tendresse et de joie, et pourtant un oiseau quelque part émettait cette musique, à la note près semblable en tous point à celle de toujours.
Il aurait fallu rejoindre cet oiseau, transformer ce grand corps long de rapace et mettre dans ces yeux pâles la douceur de celui qui chantait là-bas.
Arriverait-il à revêtir, ce matin là d’hiver, sa nudité d’homme désespéré du déguisement social, aller au labo et poursuivre son travail sur le génome, participer au sauvetage de l’humain.
Cela en valait-il la peine ? Il y avait une bonne raison à ce que les sciences métaphysiques soient enseignées de manière tout à fait distinctes des scientifiques, et en particulier celles concernant la médecine et la biologie. Le corps médical se serait abstenu de guérir qui que ce soit si chacun de ses acteurs avait dû se voir imposer comme critère de formation une longue recherche sur nos raisons d’être et le bien fondé de son existence sur terre.
D’une façon ou d’un autre, au poste qu’il occupait, Jacques était conscient d’un potentiel de nuisance qu’il se retenait d’exercer ; parfois, songeant au déluge en regardant tomber la pluie intense derrière les vitres du centre de recherche, il savait qu’il n’y avait rien à faire de ce côté-là. Les choses adviendraient toutes seules.
Cependant l’oiseau chantait ; quoi que la vie fût absurde, métastasée d’âpres frustrations , bien que Marianne lui eût échappé, cet oiseau chantait — ainsi fallait-il continuer à vivre.
2
Dans les rafales de vent qui s’amusaient dans ses cheveux, à deux cent mètres de l’entrée et n’y tenant plus, il sortit enfin de la poche interne de son grand manteau ce bout de feuille mille fois déplié et replié depuis un an et où elle avait écrit :
Tant de souffrances inutiles, tant de non-dits, tant de loupés.
Tant de fantômes passés, de choix avortés, de bonheurs manqués, de malheurs aussi évités… heureuse imperfection peut-être qui met l’amertume au ventre des impossibles.
Courages et peurs, les fusées resteront un jour au ras du sol et la planète renaîtra, ailleurs, sans doute. Comme toutes ces amours transparentes non abouties. Etranges rêves, illusions d’un soir, matins un peu tristes, puis la paix de retour un jour, de grand soleil printanier.
Musique bénie de Beethoven envoyant tout en l’air dans un juste tonnerre ou bien des vagues douces, irrésistibles, vers un nouveau rivage sans mémoire.
Dans une époque lointaine, une professeure d’allemand alsacienne nous répétait avec le sourire confiant d’une Sissi d’un mètre quatre-vingt (ou du moins nous apparaissait elle ainsi) : « Tout facile! ». D’une belle voix chaude et ronde, rythmant les déclinaisons, les irrégularités, chantant sa langue plus qu’elle ne la parlait: « Tout facile ». Formule magique qui en effet, simplifiant tout, faisait soudain penser qu’aucune difficulté n’était réelle, que tous les blocages et ce qui nous fait peur ne sont en réalité qu’imaginaires.
Son « tout facile », c’était le TIE, le Take It Easy de la pensée outre Atlantique, l’art de prendre les choses avec facilité, ou simplement de se laisser guider par elles, sans leur imposer aucune résistance ni de forcer aucun désir. Simplement de laisser être, et d’agir avec souplesse et retenue, en fonction. Pas loin du Tao Te King de Lao Tzeu.
Avec le temps, peut-être, les difficultés se lèvent et ce qui nous paraissait douloureux, insupportable ou si beau qu’inatteignable s’accomplit, ou accomplit son cours, au delà de nous et avec nous, dans la simplicité qui associe poésie et réalisme.
Tout peut arriver, n’importe où, à n’importe qui, n’importe comment. Sans doute car au plus profond, les âmes, les coeurs et les corps poussent sur le même humus, aussi différents que soient les statuts, les fonctions, les apparences des êtres.
Aujourd’hui dimanche 5 décembre 2021, Pierre Rabhi est mort, des femmes sous la pureté du ciel afghan n’arrivent pas à se dire que tout est facile, l’impossibilité d’être amoureuse ou plus largement heureuse un jour bloque l’horizon, et les étouffe plus que les voiles. A leur pensée, toutes nos plaintes sont futiles, et nos chances nous font un peu honte, comme de chanter « tout est facile, cette chance de savoir que notre bonheur dépend, de ce côté-ci du monde, essentiellement de nous-même.
Une petite chanson d’amour, sans oublier le ciel afghan.
… D’toute façon c’est facile, ilsuffit d’être fragile, de simplement être humaine. De se souvenir qu’on est rien.
Les Raisons difficiles, nous disent que c’est débile de ne pas penser à demain
De trop aimer, son prochain.
Depuis toujours… les mêmes discours, les mêmes contradictions(entre l’coeur et lui dire non)
Le mental impassible, veut qu’on lui soit docile… peut-être n’a-t-il pas tort denous retenir, par le mors.
Mais le soleil
N’est pas d’accord… là-bas sur la mer d’or
Une autre vérité sommeille…
D’toute façon soit tranquille…
Il faut pas s’faire de bile… nous dit notre astre serein (suis moi et tout ira bien…)
La Vie, en son début comme sa fin, se joue sur des petits riens.
Un dérapage, pour le pire ou le meilleur, un recadrage, une syncope, une chute depuis un escabeau, mais aussi, qu’avait-il besoin de monter dessus, qu’avait-il besoin de l’installer sur le sol glissant et concave de sa baignoire?
On croit toujours tomber involontairement, sans l’avoir fait exprès. ça vous saisit, on croit que ce n’est pas notre faute.
Est-ce notre faute de tomber dans la mort, ou dans l’inverse?
On ne sait pas.
Tout ce qu’on sait, à jamais, c’est vraiment qu’on ne sait pas.
ça nous dépasse.
Bref, un tsunami se pointe sur la plage, l’avion n’a plus de moteur, le cheval se cabre sur un pont (il est si doux d’habitude) il fallait réparer le rideau de douche. Quelque chose s’est coincé dans l’aorte, elle ne mangeait poutant pas de mauvaises graisses… enfin le coeur lâche, ou au contraire s’ouvre comme des poumons après une plongée dans les abysses: c’est la grande mort ou la petite, le noir ou le rouge amoureux. Les deux sont si liés, et le français le dit si bien entre toutes les langues.
Il lui manque un T
Elle a oublié son U.
Peut-être qu’au fond, les deux c’est pareil. C’est l’Effroi, quand c’est là. Sinon ça n’y est pas. Si on en rigole, c’est qu’on est pas si malade.
L’amour fait mourir à soi.
La mort fait mourir tout court.
Le vrai amour donne envie de mourir sans toi.
La mort est préférable à une vie sans amour.
La mort ne serait pas triste sans l’amour.
L’amour ne serait pas vital sans la mort.
Eros et Thanatos intimement liés dans un tango étroit, une valse jazzy et légère après tout, pas forcément tragique, mais à un moment ou un autre, à un moment,
ou un autre
douloureuse.
C’est pour mieux jouir, mon enfant. C’est pour mieux emmêler les deux élans dans un seul.
On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, merci de régler en Paradis.
Mieux vaut être (se dit on dans les draps de l’emmêlement) que de ne pas y être.
Mieux vaut ne plus être que de ne jamais avoir été.
Paradoxalement peut-être, seul l’amour au sens amoureux total tue la peur de la mort. L’amour du sacrifice par la mort.
La mort du sacrifice par amour. Il faut s’imaginer la figure héroïque du Christ comme un homme capable de ressentir « cet amour là » dont parlait Prévert, élargi à l’ensemble des êtres. L’amour Orphique, du type ou de la nana qui se fout des enfers, du noir, prêt à tout endurer, l’épreuve ultime du néant même, pour faire revivre l’amour. Juste un instant, au moins.
La peur égoïste de la disparition de notre ego, cette angoisse banale de notre condition à laquelle nous renvoient les larmes sur ceux que l’on aimait pas forcément, le rappel tragique de notre petite nature finie n’existe plus dans le moment de l’amour infini comme dans celui de la mort d’un être aimé. Il y a décentrement de soi même, ou recentrage avec notre essence vitale plus profonde encore que notre mesquine conscience individuelle.
Cet élargissement cosmique, « sentiment océanique » évoqué par Valéry, on peut avec raison faire l’hypothèse qu’il est celui dans lequel la mort, pareillement que l’amour, nous fait tomber.
Donc il ne faut pas avoir peur.
Comment se convaincre d’une vision si folle et si juste? Si naturelle… Ce qui germe est ce qui va tomber. Ce qui tombe est ce qui va faire germer. Penser: cycle naturel, sorte de fatalité qui ne serait ni bonne ni belle, si elle ne rendait au pas sage, heureux.
Il ne faut pas avoir peur.
« ES IST GUT* » a dit Kant, ce grand sensuel pudique, avant de s’éteindre.